Depuis quelques semaines, la presse n'a d'yeux que pour Wikileaks, ce site Internet clandestin emmené par Julian Assange, un australien écorché vif qui entend rendre public toutes sortes de documents confidentiels (avec une nette préférence pour ceux de l'armée américaine). Pourtant, un autre site s'est récemment illustré de manière plus légère mais toute aussi spectaculaire. Le 17 juin dernier, Google voyait en effet son classement des recherches les plus populaires piraté, des termes aussi absurdes que "fried chicken" ou "f** you Google" se plaçant sans raison en tête de liste. Qui pouvait bien se cacher derrière cette attaque aussi innocente que crétine? 4chan, bien sûr.
Pour faire court, 4Chan est un imageboard (forum d'images) créé fin 2003 par un new yorkais de 15 ans surnommé "moot". Il s'agissait au départ d'un simple lieu de rencontre entre fans de mangas, sur le modèle des forums japonais Futuba ou 2channel, où les otakus (nerds japonais) s'échangent des extraits de BD, des fan-arts, etc. Très vite cependant, le public de 4chan a explosé, le site allant jusqu'à attirer 11 millions de visiteurs/mois aujourd'hui. Un million de messages y seraient postés chaque jour, et 4chan enregistrerait quelques 730 millions de pages vues/par mois, soit autant que le site du New York Times.
Si 4chan a su attirer autant de monde (en majorité des hommes de 18-25 ans), c'est qu'en réalité on n'y parle pas que de mangas. Certes, le site comporte encore toute une partie dédiée à la culture japonaise, mais plusieurs "boards" sont aussi consacrés au sport, à l'automobile, à la musique ou aux voyages.
Et encore, ces sous-rubriques apparaissent presque anecdotiques à côté de la fameuse section "Divers" (ou "/b/" selon la terminologie 4chanienne), qui représente à elle-seule 30% du trafic. /b/ est incontestablement le cœur de 4chan : c’est ici que sont nés d'innombrables memes comme les LOLcats, le Rickrolling ou Pedobear... Autant de morceaux de contre-culture web désormais passés dans la pop-culture.
Pour autant, tous les messages postés sur /b/ ne sont pas hilarants. La plupart sont mêmes carrément infamants ou obscènes, et l'Encyclopedia Dramatica décrit à juste titre ce board comme "the asshole of the Internet"!
Comment expliquer un tel foutoir? Tout simplement par l'anonymat complet dont bénéficient les utilisateurs du site. A contrario de nombreux forums, 4chan ne requiert en effet aucun login : tout le monde peut s'y rendre et poster ce qu'il veut en quelques clics. Il est possible d'utiliser un pseudonyme, mais celui-ci n'est pas protégé et peut être usurpé par n'importe qui. Et s'il existe, pour certains cas particuliers, un système pour clairement s'identifier, il reste marginal.
Comme on s'en doute, la liberté de poster anonymement entraîne toutes sortes de dérives, ce qui explique pourquoi 4chan est le paradis des trolls.
Mais le plus intéressant, c'est de voir que "Anonymous" est devenue une véritable identité collective dont l'influence n’est pas que virtuelle. Ce pseudonyme générique est derrière tous les plus gros coups médiatiques de 4chan, comme le piratage du compte mail de Sarah Palin, les actions anti-Scientologie ou encore l’envoi de Justin Bieber en Corée du nord. Des opérations montées spontanément, avec un sens étonnant de l'organisation, et toujours incognito.
Le principe d'anonymat sur Internet, devenu quasi contre-intuitif à l'heure du "tout-transparent", de l'identité numérique et du self-marketing, apparaît ainsi comme la base d'un des sites les plus influents du web. On retrouve d'ailleurs ce principe chez Wikileaks, qui tire sa force de ses nombreuses sources cachées.
C'est qu'en réalité, 4chan et Wikileaks ont beaucoup plus en commun qu'on ne le croit : ce sont tous deux des sites à l'interface rudimentaire, ils sont tous deux financièrement sur la corde raide... Et surtout, ce sont tous deux des enfants terribles du web. Avec Chatroulette ou the Pirate Bay, ils appartiennent à cette famille de sites flibustiers semant le trouble dans un Internet qui tend à se cloisonner et à tomber sous le joug d'une oligarchie.
Sans porter de jugement de valeur sur leurs contenus ou leurs méthodes, on peut donc voir dans leur existence le signe qu'Internet reste -malgré tout- le plus disruptif des médias.
Qu'en pensez-vous?
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