C’était LE buzzword de 2016 dans le milieu de l’art d’après le Los Angeles Times. L’immersion a envahi les espaces culturels pour y attirer des milliers de visiteurs avides d’expériences tantôt ludiques, tantôt spirituelles, toujours spectaculaires comme la Mirrored Room de Yayoi Kusama, la Rain Room du studio Random International ou la symphonie du sommeil du compositeur Max Richter. De tels dispositifs multimédias ne sont pas neufs mais ont pris une force nouvelle avec le développement de nouvelles technologies.
Cet engouement populaire et médiatique fait écho à l’explosion cette année d’une autre forme d’immersion, toute aussi impressionnante : la réalité virtuelle. La VR s’est fortement démocratisée ces derniers mois avec la multiplication des casques grand public (Oculus Rift, HTC Vive, PlayStation VR) et des contenus à 360° (vidéos sur Facebook et YouTube, expérimentations du New York Times). Sans oublier les nombreuses initiatives des marques dans ce domaine, comme Mercedes, Coca-Cola ou Nike… Financièrement accessible sans être encore trop mainstream, la réalité virtuelle bénéficie encore de l’effet de nouveauté, ce qui a même conduit de nombreux commerçants à l’utiliser pour appâter les clients lors des dernières fêtes de Noël.
Qu’elles soient interactives ou plus passives, physiques ou entièrement virtuelles, les expériences immersives devraient garder le vent en poupe en 2017. Comment expliquer ce succès ? Certains diront qu’il s’agit pour le public de s’extirper par tous les moyens d’un monde désespéré… Mais l’on peut aussi y voir une vraie curiosité pour l’exploration d’univers différents, parfois plus violents, plus abstraits ou plus poétiques. Par ailleurs, pour les artistes et les producteurs de contenus, l’immersion permet de mieux transmettre certaines émotions voire de créer des expériences synesthétiques jusqu’ici impossibles. De même, inviter les individus dans des mondes “clos” permet d’en canaliser les sens et les soustraire aux innombrables stimuli qu’ils reçoivent chaque jour. C’est d’ailleurs pour cela que l’immersion est aussi prisée des annonceurs, qui peuvent grâce à elle toucher des consommateurs captifs. Une étude Nielsen commissionnée par YuMe aurait même montré que la VR générerait 27% d’engagement émotionnel de plus qu’un contenu classique en 2D.
Les expériences immersives adossées à la technologie n’en sont qu’à leurs balbutiements et devraient se développer à mesure que les annonceurs et les médias s’en saisissent. Cependant, le terme semble encore fourre-tout et demande une définition plus précise. Une photo à 360° ou un jeu en réalité augmentée sur un simple écran de smartphone peuvent-ils ainsi être qualifiés “d’immersifs” ? On pourrait ainsi définir comme ‘expérience immersive’ “tout dispositif mettant à contribution plusieurs sens afin de couper au moins partiellement l’individu de la réalité et créer un autre univers.”
Une fois mieux circonscrite et développée, l’immersion devrait également exiger pour les marques et les médias de se doter de nouvelles règles.
Des règles esthétiques, tout d’abord. J’ai eu la chance d’assister en juin à une conférence à Cannes où la vidéaste Jessica Brillhart soulignait le besoin d’inventer une nouvelle grammaire narrative pour du contenu à 360° (la keynote est aussi dispo ici). A quelques exceptions-près (le court-métrage Pearl, réalisé par Patrick Osborne pour… Google), la plupart des expériences VR est encore très linéaire et traditionnelle. Pourtant, les dispositifs immersifs présentent bien des opportunités de storytelling. Par exemple, le point de vue sur une histoire ou le discours de vente d’un annonceur pourraient s’adapter en fonction de l’endroit où se pose notre regard à un moment T. De même, on pourrait imaginer un système d’hyperliens permettant de passer simplement d’une expérience à une autre sans quitter la VR.
Cela nous amène à une deuxième catégorie de codes à imaginer : des règles ergonomiques et techniques. Pour rendre l’immersion plus profonde et plus longue, il faudra aussi en repenser les interfaces, qu’elles soient matérielles (pièce dédiée, casque ou lunettes, système haptique…) ou immatérielles (modes d’interaction, menus…). Comment rendre l’expérience immersive à la fois plus naturelle et plus extraordinaire ? Pour une marque, comment faciliter l’interaction des consommateurs avec les contenus pour en faire plus qu’un support isolé, un véritable canal de communication — voire de vente — à part entière ?
Il faudra établir des règles éthiques enfin, afin de fixer des limites à des expériences trop fortes ou envahissantes. Comment marquer clairement la limite entre réalité et mondes virtuels ? Comment éduquer et protéger les plus jeunes des abus ? De telles préoccupations peuvent paraître excessives et pourtant : les technologies immersives pourraient se faire très sophistiquées et populaires, ce qui exige d'y réfléchir dès maintenant.
Car ces règles sont d’autant plus vitales que l’immersion n’en est qu’à ses débuts. À ce titre, la penser dans un univers clos est encore commode mais très restrictif. Nous baignons d’ores et déjà dans les technologies. La montée des objets connectés en réseau, l’accélération de la vitesse de traitement de l’information et le développement de nouveaux outils comme la réalité mixte devraient d’autant plus estomper les frontières entre réel et virtuel. A nous de nous préparer à mieux “vivre en immersion”.
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