J’ai
écrit cette note il y a plusieurs jours sans intention de la publier
mais vu qu’on est tous coincés chez nous, autant se trouver des sujets
de conversation ;)
Nous
sommes à point d’inflexion quant à l’utilisation d’univers 100%
virtuels dans le cadre du travail, du divertissement ou du sport grâce à
un alignement de plusieurs facteurs.
Si
j’écris cela aujourd’hui, c’est bien sûr parce que les épidémies
potentiellement récurrentes telles que le Covid-19 nous forceront à nous
confiner de manière régulière mais ce n’est pas la seule raison, tant
s’en faut :
- La technologie est désormais avancée, stable et de moins en moins coûteuse ;
- La lutte contre le réchauffement climatique exige de réduire ses déplacements ;
- Les individus recherchent un meilleur équilibre vie perso/vie pro, qui passe par davantage de flexibilité quant à leur rythme et leur lieu de travail ;
- D’autant que les logements sont de plus en plus petits et de plus en plus éloignés des centres-villes ou des quartiers d’affaires.
Se
retrouver durablement plongé dans des mondes virtuels a longtemps été
un fantasme d’écrivain de science-fiction ou de gamer mais le phénomène a
déjà commencé.
Tout
d’abord, nous passons déjà la moitié de nos journées à consommer du
média, en grande partie numérique (12h13 par jour pour les américains de
18 ans et plus, selon Nielsen).
Par ailleurs, on observe une grande convergence entre les univers virtuels du jeu vidéo et d’autres formes de divertissement jusqu’ici séparées :
- Des jeux vidéo marketés comme des films, comme le Death Stranding d’Hideo Kojima ;
- Des jeux vidéo qui inspirent des séries, comme The Last of Us, dont les droits viennent d’être acquis par HBO ;
- Des séries interactives qui empruntent les codes des jeux vidéo, comme Bandersnatch ;
- Enfin, et surtout, l’explosion des jeux vidéo multi-joueurs comme « espaces tiers » où l’on se retrouve pour sociabiliser et se divertir, à la manière d’un parc d’attraction, d’un centre commercial ou d’une salle de concert. Impossible ici de ne pas citer Fortnite, qui a déjà accueilli des concerts (celui du DJ Marshmello, qui a rassemblé 10 millions de personnes l’année dernière) et diffusé auprès de ses utilisateurs des bande-annonce de films exclusives.
Si
tout le monde ne joue pas (encore) aux jeux vidéo, cette grande
convergence des formes d’entertainment installe progressivement l’idée
que l’on peut vivre des expériences aussi variées que profondes en se
connectant à des mondes virtuels. Le monde virtuel n’est plus uniquement
dédié à jouer, il se fait “metaverse” — non pas un univers parallèle à la Second Life, mais un prolongement dématérialisé du monde réel.
Dans
le même ordre d’idée, les applications comme Instagram ou Snapchat ont
démocratisé et banalisé l’usage de la réalité augmentée pour modifier
son apparence et sociabiliser. Par conséquent, le « moi » virtuel est
chaque jour un peu plus un prolongement du moi réel.
A
me lire, on pourrait croire que ce phénomène est d’une part, limité au
divertissement et d’autre part, limité aux jeunes publics.
En
réalité, la même tendance s’observe du côté des entreprises. On y prête
moins attention mais la transition vers le virtuel y est bien réelle et
entamée. Des outils de collaboration dans le cloud comme Skype, Slack,
Box, Klaxoon ou Teams sont déjà largement utilisés et permettent de
mener des projets toujours plus complexes à distance. Si les
collaborateurs n’évoluent pas encore dans des « open-spaces virtuels »,
les formes très sophistiquées de télé-travail s’en rapprochent chaque
jour un peu plus.
A
la faveur de ces nombreux facteurs, nous pourrions bientôt passer une
bonne partie de notre temps connectés à des univers virtuels qui
réuniraient sous une poignée d’interfaces divertissement, sociabilité et
travail. J’insiste sur un point : pas besoin d’avoir un casque de VR
sur la tête 24h/24 pour être dans le « monde d’après ». Il suffit de
sauter d’une série en streaming à un jeu vidéo multi-joueurs, d’une
conf-call à un service de livraison de repas à domicile ou un vélo
d’appartement connecté (à la Peloton), pour déjà y vivre. Grâce au
numérique, on peut désormais « être au monde » sans jamais passer le pas
de sa porte.
De
nombreux secteurs verront leurs modèles économiques se transformer dans
le cadre de ce basculement. Les premières filières seront celles dont
le modèle repose essentiellement sur de l’intangible et de la propriété
intellectuelle (e.g. médias, divertissement, productivité…) mais
également celles dont le business a trait au symbolique et à la
représentation de soi (e.g. mode, beauté, décoration…). En effet, à
mesure que nous nous installons durablement dans un monde parallèle «
connecté » se posera la question de la personnalisation de son
environnement et de l’apparence de chacun. Aujourd’hui, acheter des
vêtements et accessoires virtuels est déjà une pratique quotidienne chez
les gamers — demain, elle sera courante chez tous ceux qui souhaitent
se distinguer dans les mondes virtuels… et il y a fort à parier qu’ils
seront nombreux.
Trois inconnues demeurent :
- Tout d’abord, la capacité de la technologie à supporter l’explosion plus rapide que prévue des besoins ;
- Ensuite, l’impact environnemental de la technologie, dont on commence à peine à prendre conscience ;
- Enfin, à mesure que les grandes plateformes virtuelles se feront prolongement du monde réel se posera la question de leur contrôle et de la liberté de leurs utilisateurs (notamment en matière de vie privée).
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