Thomas Cole - Le Destin des empires. Destruction (1836) |
J'ai eu la grande chance d'être invité à participer au catalogue de l'exposition Une brève histoire de l'avenir qui s'ouvre la semaine prochaine au Louvre. Il s'agissait de décrire succinctement ma vision du monde en 2050 : mes craintes et/ou mes espoirs. Un chouette exercice de style ! Le livre vient de paraître, aussi je me permets de partager avec vous mon petit texte, qui s'accompagnait d'une œuvre de mon choix. Et si vous en avez l'occasion, courrez au Louvre (vous avez jusqu'à janvier 2016) !
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Et
si une exposition telle qu’Une brève
histoire de l’avenir était l’un des derniers exemples de réflexion
prospective avant sa disparition progressive ? Je crains en effet que la notion
de «long terme» n’ait perdu tout son sens à l’horizon 2050.
On
sait combien l’informatisation croissante de la société ainsi que la
démocratisation de technologies telle que la téléphonie mobile ont démultiplié
et accéléré les flux d’information. Or, plus l’information est abondante et
circule vite, plus le temps nécessaire pour la produire, la collecter et
l’exploiter se réduit. L’économie compte désormais en nanosecondes et des
industries entières se nourrissent de cette fuite en avant, comme les médias,
l’aéronautique et bien sûr la finance. Quel meilleur exemple de cette réduction
du temps à des proportions infinitésimales que l’explosion du trading à haute
fréquence (HFT) depuis une dizaine d’années ?
Cependant,
loin de n’affecter qu’une poignée de métiers, cette logique traverse toutes les
sphères de la société —publique, privée, intime. En passant de l’heure à la
minute, de la minute à la seconde, nous changeons durablement d’échelle du
temps. L’ultra-court terme devient standard. Les court et moyen termes sont
tolérés. Le long terme semble quant à lui abandonné aux seuls savants ou aux
rêveurs.
Ce
court-termisme outrancier trouve dans la montée de l’individualisme, qui reste
le cœur de la modernité, un important relais. En effet, l’aversion naturelle au
risque conduit l’Homme à privilégier la satisfaction immédiate de ses désirs.
Aidés en cela par les nouvelles technologies, nous n’aurons bientôt plus aucun
intérêt pratique ou intellectuel à nous projeter dans le futur, fût-il proche.
D’ici
2050, la notion de long terme pourrait ainsi s'estomper puis disparaître. Or,
comment s'imaginer un avenir lorsque notre référentiel temporel est purement et
simplement tronqué ? Comment faire naître de grandes idées sans une quelconque
volonté de transcendance ? Et comment construire des projets collectifs sans
ambition ni vision ?
La
relative indifférence autour du changement climatique, phénomène bien réel mais
trop éloigné symboliquement pour que le grand public s’en préoccupe davantage,
ou encore les difficultés à renouveler les courants de pensée économique
traditionnels, sont autant d’exemples précoces des obstacles que nous
pourrions rencontrer demain.
Je
crois néanmoins que la réflexion de long terme peut encore être préservée en
prenant appui sur trois grands piliers.
Le
premier, c'est la technologie elle-même. Si elle influe irrémédiablement sur
notre perception du temps, rien ne nous empêche d'en tirer parti. Par exemple,
la vitesse d'accumulation et d'extraction des données a grimpé de manière spectaculaire
ces dernières années. Ce que l'on appelle la « big data » a envahi de
nombreux aspects de notre quotidien et tend elle-même à l'accélérer, comme
lorsqu'un algorithme nous pousse à acheter plus vite un billet d'avion.
Pourquoi, dès lors, ne pas mettre une telle puissance de calcul au service de
la compréhension chiffrée des évolutions macroscopiques de notre société sur de
longues périodes ?
Par
ailleurs, l'éducation a un rôle important à jouer dans notre réappropriation du
long terme. On pourrait ainsi intégrer davantage la réflexion sur notre avenir
dans les cours d'histoire-géographie, d'éducation civique ou de sciences,
voire lui réserver une matière à part entière. C’est en se forgeant un
solide esprit critique et en stimulant l'imagination que l’on pourra faire de
la mise en perspective sur le long terme un véritable réflexe intellectuel.
Enfin,
l'Art est plus que jamais un puissant outil pour interroger notre futur,
d’autant plus puissant qu’il est universel et permet de toucher un vaste
public. A ce titre, romans, films ou encore pièces de théâtre d’anticipation
sont autant de longues-vues à chérir. Et au-delà de la science-fiction,
c’est l’ensemble des œuvres, à travers les valeurs et questionnements qu’elles
portent, qui peut nous aider à réfléchir – et infléchir - à notre trajectoire.
D'ailleurs, ne dit-on pas ars longa, vita
brevis ?
Pour
illustrer mon propos, j'ai choisi Organ2/ASLSP
(As SLow aS Possible) de John Cage (1987), une œuvre musicale
conçue pour n'être jouée que sur de très longues périodes. Elle est
actuellement exécutée note par note dans l'église d'une petite ville allemande
nommée Halberstadt, dans le cadre d'un concert qui ne se terminera qu'en 2640.
Ce
projet permettait à Cage de repousser de nouveau les limites de la musique en
jouant sur une de ses dimensions fondamentales, le temps, et en mettant à
l'épreuve la patience du public au milieu des années 80, au moment même où les
flux d'information connaissaient une accélération vertigineuse.
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