La récente publication par le New Yorker de sa 20 under 40 list, un classement des jeunes écrivains américains les plus prometteurs, s’est accompagnée de vives polémiques. Beaucoup lui ont en effet reproché de n’être qu’une liste de plus où seuls les "amis" du magazine ont droit de cité. Certains, comme Lee Siegel du New York Observer y voient même le signe que la "fiction" en tant que telle, est devenue obsolète!
En revanche, l'autre raison invoquée par le journaliste est plus intéressante : pour lui, le déclin de la "fiction" serait corrélé à la montée de la "non-fiction". Cette seconde catégorie littéraire correspond plus ou moins à notre section essais/documents en France, bien qu’elle soit moins fourre-tout (elle n’englobe pas les livres de conseils du genre La Méthode miracle pour perdre 30 kilos en ne mangeant que des petits pois). Pour Siegel, le constat est simple : la non-fiction aurait aujourd’hui largement dépassé la fiction en termes d’inventivité et de qualité. Ainsi, es plus gros «page-turners» seraient des essais et les plus grandes émotions et les plus belles descriptions seraient l’apanage des biographies ou des témoignages...
Je ne sais pas si cette observation peut encore s’appliquer en France. La plupart des essais français restent encore trop austères pour réellement faire de l’ombre aux romans (si tant est qu’on considère que les romans sont tous «fantaisistes» et que les essais sont tous «sérieux»). Néanmoins, le récent succès de livres comme Mainstream de Frédéric Martel ou Métronome de Lorànt Deutsch montre que concilier «essai» et «écriture divertissante» n’est pas impossible en France.
À défaut de dire comme Siegel que la "non-fiction" s’apprête à supplanter la "fiction", je me demande si en réalité la frontière entre les deux catégories ne s'estomperait pas. D’un côté, les essayistes font de plus en plus appel aux leviers de la fiction sans pour autant sacrifier leur rigueur ; de l’autre, les romanciers n’hésitent plus depuis longtemps à s’approprier les codes de la de non-fiction (procédés journalistiques chez Wolfe, Capote ou Mailer, soucis du détail encyclopédique chez Pynchon).
Au delà, ne peut-on pas dire que la "fiction" est aujourd’hui partout? À l’heure du storytelling généralisé, chaque article, chaque témoignage, chaque prise de parole est déjà un petit mythe en soi. Quand même le plus anodin des tweets ou des status participe à la construction d’une histoire, ce n’est plus vraiment la "fiction" qui devient obsolète, mais bien la distinction entre "fiction" et "non-fiction". Et l’on ne parle même pas de la publicité, qui repose entièrement sur un savant mélange de "fiction" et de "non-fiction"! Bon, c’est peut-être un peu excessif, mais pour appuyer mon observation, je vous renvoie à cette citation d’Aldous Huxley, postée il y a peu par un de mes collègues (et qui provenait de ce blog, que je vous conseille au passage) :
“I have discovered the most exciting, the most arduous literary form of all (...) I mean the advertisement. It is far easier to write ten passably effective Sonnets (...) than one effective advertisement that will take in a few thousand of the uncritical buying public”
Vous avez dit post-modernité?
ravi de (re)découvrir ton blog d'excellente facture...
RépondreSupprimerMerci beaucoup :)
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec toi sur la porosité et même le flou des frontières entre fiction et non-fiction aujourd'hui.
RépondreSupprimerDe plus en plus d'exemples montrent bien que c'est aujourd'hui une tendance culturelle majeure, au-delà de la littérature : la télé-réalité, les romans "conspirationnistes" à la Dan Brown ou Ellroy, mais aussi la réalité augmentée, les canulars sur internet ou à la télévision...
En fait, je suis sûr que même toi tu es fictif !