mardi 27 avril 2010

Mondialisation, générations et pop culture

Je viens tout juste de terminer Mainstream de Frédéric Martel. Ceux qui me connaissent savent que j'ai déjà fait pas mal de battage autour de ce bouquin avant même de l'ouvrir, son sujet m'intéressant énormément.
Martel, sociologue, journaliste et professeur, se propose d'enquêter sur ce qui fait la puissance du mainstream, c'est-à-dire cette culture mondialisée, universelle et symptomatique de l'hégémonie américaine. Mais au delà, il s'attache à montrer en quoi les Etats-Unis ne sont désormais plus seuls sur le terrain du soft power. L'auteur esquisse ainsi, au fil de plus de 1200 entretiens, une nouvelle géopolitique des flux de contenus -oeuvres culturelles mais également information et communication- passionnante et instructive.

Parce qu'il fait le constat sévère d'une culture européenne sans unité, repliée sur elle-même et sur le déclin face à celles des Etats-Unis et des puissances émergentes d'Asie et du Moyen-Orient, Mainstream fait l'objet de débats houleux. On accuse son auteur de dénigrer gratuitement la grande culture, de faire de la provoc, d'être dans la posture. On l'appelle traître, on le traite de con. On le dit contaminé par la mentalité anglosaxonne, qui réduit l'Art au bon dosage du mix marketing.
Cette levée de boucliers est, à mon avis, aussi prévisible que vaine. Prévisible car la mort de la culture à l’européenne et la "défaite de la pensée" est un véritable serpent de mer éditorial en France, et chaque ouvrage publié à ce sujet se retrouve toujours systématiquement débattu, quelle que soit sa thèse et sa qualité réelle. Vaine, car je me demande si ce débat n'est pas, au delà d'être économique ou intellectuel, tout simplement générationnel.

Je pense en effet que Mainstream et certaines des thèses qui y sont développées parlent en priorité à ma génération, celle que l'on appelle parfois la génération Y. Certes, la "culture jeune" ou le culte du cool ou ne sont pas nouveaux, mais il semble qu'ils se soient amplifiés depuis les années 80-90. L'époque est désormais à l'iconoclaste, au syncrétisme, au mélange des genres. La génération Y aime le mainstream car elle est hyper-oecuméniste : elle connaît autant les paroles de Lady Gaga que d'Arcade Fire par cœur, aime autant Michael Bay qu’Emir Kusturica, lit autant Dan Brown que Marie NDiaye. Et le mieux, c'est qu'elle en est fière et le clame haut et fort.
Cela en fait-il une génération abrutie? Sans repères? Bassement hédoniste? Je ne le pense pas.

Et si, en réalité, les Yers constituaient la première génération décomplexée quant à son rapport à la Culture?
Décomplexée ne voulant pas dire "ignorante" : on ne parle pas ici de "mort de l'Art" ou du nivellement par le bas de la culture. Je crois plutôt à l'émergence sur le long-terme d'une culture atomisée, mouvante, protéiforme où les créateurs et les icônes subsistent, mais où la création est davantage partagée avec le public. Un public qui n'est plus un simple récepteur et n'hésite plus à opérer toutes sortes de mélanges entre pop et «high culture». L'auteur s'était déjà effacé avec Barthes ; aujourd'hui, il est carrément remixé.
Le mainstream ne doit pas être abordé comme une culture universelle et lénifiante, mais simplement comme une façon plus ouverte d'aborder la Culture dans sa globalité -et sa diversité.

Cette vision reste, j'en suis conscient, très ethnocentrée ; et même au sein de nos sociétés les pratiques culturelles varient immensément d'un individu à un autre. Mais je pense qu'au fond, c'est bien ce mouvement global de mainstream, où le pop côtoie l'expérimental et le mondial côtoie le local, qui est désormais engagé.
Le problème c'est, comme le signale Martel, qu'il s'agit d'un processus de destruction créatrice : dans le grand jeu du mainstream et de la mondialisation des flux de contenus, il y aura donc des gagnants... et des perdants, c’est-à-dire des pays dont les cultures continueront d’exister mais seront exclues des échanges internationaux. À la vieille Europe de faire en sorte de tomber dans la première catégorie. 

Personnellement, la seule chose que je pourrais reprocher à Martel, c'est la forme de son livre : on a parfois l’impression de ne lire qu’une suite d’anecdotes à ressortir dans un dîner. D'ailleurs, certains ne considèrent pas Mainstream comme un ouvrage sérieux pour cette unique raison. Il faut pourtant reconnaître que cela en rend la lecture fluide et très agréable, ce que souhaite justement son auteur, qui annonce dès l'introduction son intention d’écrire un ouvrage accessible et relativement grand public, à l’image du thème qu’il traite. Un livre "pop" pour parler du mainstream. La boucle est bouclée.

Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde de Frédéric Martel, Flammarion, 464 pages, 22,50€

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