jeudi 4 août 2016

Vrai-faux plagiat et imperfection assumée : les deux leçons d’Instagram Stories

Mercredi matin, Instagram lançait Instagram Stories. Cette nouvelle fonction permet de partager en rafale des photos personnalisées qui s’effacent au bout de 24h. Le rapprochement avec la “story” de Snapchat est inévitable : même nom, même objectif, même temporalité. Un “look and feel” identique jusqu’aux icônes ! Cependant, la première chose notable ici n’est pas le plagiat avéré et dénoncé par les internautes mais bien le fait qu’il soit pleinement assumé par Kevin Systrom, le créateur d’Instagram.

Leçon n°1 : Dans le numérique, copier n’est pas (toujours) (forcément) piller

A vrai dire, les géants du numérique se sont toujours librement copiés les uns-les autres. Déjà en 2012, j’écrivais sur mon blog un papier sur la convergence des interfaces et services des grands réseaux sociaux. Twitter et Google ont largement piqué des idées chez Facebook, qui a pris à son tour des idées chez Twitter, Instagram (pas encore dans son giron), Foursquare ou encore Snapchat. Snapchat qui a, de son côté, pompé Line et Masquerade, tandis que LinkedIn s’est volontiers inspiré de Medium et Facebook… Une liste qui pourrait s’allonger à l’infini.
Systrom souligne très justement que les mécaniques et «formats» se diffusent dans l’écosystème numérique et permettent ainsi l’innovation en grappes, faisant naître à leur tour de nouveaux services :
“You can’t just recreate another product. But you can say ‘what’s really awesome about a format? And does it apply to our network?’ (…) Gmail was not the first email client. Google Maps was certainly not the first map. The iPhone was definitely not the first phone. The question is what do you do with that format? What do you do with that idea? Do you build on it? Do you add new things? Are you trying to bring it in a new direction?”
Ce qui nous amène au second point intéressant ici. Si Kevin Systrom a fait sien le concept des Snapchat Stories, c’est qu’il s’agit d’une innovation plus profonde qu’elle n’en a l’air.

Leçon n°2 : bienvenue dans l’ère de la “communication imparfaite”

Depuis sa création, Instagram s’est affirmé comme le média du contrôle de l’image. On y travestit la réalité en embellissant sa vie à coup de filtres vintage. Chaque photo exige beaucoup de temps car elle doit être parfaite — lumière, couleur, cadrage, tilt shift, sans oublier une légende pleine de hashtags et emojis bien sentis — pour recueillir de nombreux likes. Chaque publication est ainsi une petite prise de risque qui expose l’utilisateur aux commentaires de centaines de millions de personnes.

Sur Snapchat, en revanche, la valeur du partage vient du volume : on y publie en rafale, sans se soucier de la qualité d’images qui, de toutes façons, sont noyées parmi des dizaines d’autres et disparaissent au bout de quelques secondes ou quelques heures. Bien sûr, les Snaps peuvent être enregistrés et demeurent probablement stockés sur un serveur, mais qu’importe : symboliquement, elles n’engagent à rien et permettent de se raconter de manière plus légère, plus libre. Avec ses filtres crétins, ses stickers et sa fonction dessin minimaliste, l’esthétique de Snapchat est délibérément bouillonnante, insignifiante, insouciante — en un mot, imparfaite. Elle parle ainsi droit au cœur d’une génération à laquelle on apprend dès le plus jeune âge à “se tenir” en lui répétant que ses agissements en ligne resteront gravés dans le marbre… et pourront être retenus contre elle.

Le lancement d’Instagram Stories est le signe que cette approche ludique et décomplexée ne se restreint plus à Snapchat et se diffuse aux autres médias sociaux, voire aux autres médias tout court.
En effet, le succès croissant de cette esthétique de l’imperfection devrait bientôt affecter le discours des marques. Car derrière l’idée d’imperfection assumée, il y a celles d’honnêteté, d’humilité et surtout de sincérité. Aujourd’hui, la plupart des marques communiquent avec force précaution. Comme les photos sur Instagram, le moindre tweet, la moindre copy doivent être parfaits et, pour cela, passent par d’innombrables processus de validation. A l’inverse, la communication imparfaite suggère de tester toutes sortes de choses (dans la limite du raisonnable) en veillant simplement à rester sincère, honnête et humble de bout en bout. On pardonnera volontiers à une marque de s’être plantée sur une campagne ou un produit si sa démarche est perçue comme non calculée.

Il ne s’agit pas de communiquer de manière fantasque et irréfléchie, mais au contraire de repenser son discours afin qu’il soit plus simple, plus cohérent et ainsi plus résilient. Une philosophie à rapprocher de l’amélioration incrémentale en vigueur dans bien des start-ups : oser sortir un produit imparfait mais “suffisamment bon” pour ensuite l’améliorer sans cesse grâce au dialogue avec les consommateurs. Un véritable pari qui ne peut s’appliquer à tous les annonceurs mais pourrait bien changer le visage de quelques-uns...



jeudi 23 juin 2016

Of frustration under palmtrees

Frustration as a mechanism of survival for the advertising industry

 

Advertising is an industry plagued by frustration. We always joke that account directors are frustrated strategists while strategic planners are frustrated creatives and creatives are frustrated artists. Basically, everyone tries to do someone else’s job.

Such frustration has gone even further in the last few years. After trying to do one another’s jobs inside their industry, advertisers and marketers are now exploring new businesses outside of it.
For instance, I’ve been attending the 63rd Cannes Festival of Creativity for a few days now and this year it feels different. From fashion to coding, from philanthropy to contemporary art, from music to filmmaking, it seems like every advertising exec aspires to do anything but advertising.
Some will see it as conceit or even hubris (“these marketers really think they can do whatever they want”). Other will laugh at the irony of such a situation: after all, advertising is all about creating need and frustration… But there is more to this than whim or bloated egos. In fact, in the advertising industry, frustration is no less than a survival mechanism.

Media, advertising and marketing professionals now live under constant threats such as the rise of digital monster-companies, atomization of touchpoints and of course massive consumer distrust. They’re told all day long that the “good ol’ times” of marketing are behind them and that they will eventually lose their [meaningless] job if they don’t transform it.

This feeling of urgency is accentuated by the fact that these professionals are deeply confident in their ability to build great and more concrete things. The real beauty of the advertising industry is that they are few businesses that young and open-minded, where so many different characters, cultures and minds mingle. These are people with countless know-hows, willing to use all of them. These are people with huge hopes and ambitions. These are people who feel a dire need to join forces to bring something else to the world — art, ideas, products, you name it — and save themselves in the process. I won’t deny advertisers and marketers are often infatuated with themselves but the truth is they are the most beautifully frustrated crowd one can get. And Frustration is precisely what will drive them to reinvent whole industries from inside out.

Back to Cannes Lions. Keynote sessions in the Palais des Festival are punctuated by 15-minute breaks during which they blast music in auditoriums. On Monday, you could hear all day a massively cheesy and uplifting song by the EDM act Alesso. The song is called “(We could be) Heroes”.



mercredi 6 avril 2016

Existe-t-il une esthétique de la Génération Y ?

Ces jours-ci sort Quarter Life Poetry, un recueil de poésie parodique signé par la publicitaire Samantha Jayne. Cette femme de 25 ans a commencé par dépeindre les vicissitudes de sa vie de jeune adulte sur Instagram, sous forme de quatrains aussi drôle que délicatement illustrés. 90.000 abonnés plus tard, elle s'est vue comme d’autres success stories du Web proposer un contrat d'édition pour transposer son travail dans un livre.

Une photo publiée par Quarter Life Poetry (@quarterlifepoetry) le

Si Quarter Life Poetry est un objet littéraire sympathique doublé d’un beau produit marketing qui se vendra par palettes entières dans tous les Urban Outfitters du monde, on peut aussi y voir un témoin de l'époque. Avec son humour acide et son auto-dérision hypertrophiée, Samantha Jayne pourrait être la petite sœur d'une Lena Dunham ou d'une Amy Schumer. Par ailleurs, les médias américains la décrivent volontiers comme l’archétype du "Millennial", cette fameuse génération née entre 1980 et 2000 qui obsède tout le monde depuis 10 ans. Se pourrait-il que son livre porte en lui une “esthétique de la Génération Y” ? Si une telle esthétique existe, elle ressemble en tous cas à sa synthèse particulière entre culture classique et culture populaire, entre angoisse et désinvolture et bien sûr entre enfance et âge adulte.
Une photo publiée par BETCHES (@betches) le

Jayne n'est pas la seule à construire cette “esthétique Millennial”. D’innombrables comptes Instagram comme ceux de Betches, Fuck Jerry ou BeigeCardigan, qui rassemblent chacun des millions d'abonnés et sont devenus des médias à part entière, contribuent aussi à la nourrir. On y retrouve les mêmes contenus dupliqués ad libitum : captures d'écran, photos de séries ou de films, memes... Les thèmes abordés y sont également proches : libération sexuelle en cours, job compliqué, finances en berne, besoin de faire partie d'un groupe social, difficulté à couper le cordon avec les parents et beaucoup, beaucoup d'alcool. Autant d’éléments contribuant à renforcer une image de Génération Y paradoxale et instable, à la fois rebelle mais conformiste… et surtout paumée.

Une photo publiée par The Daily Raze (@thedailyraze) le

Parvenir à fixer les fondamentaux d'une génération à travers les médias qu'elle a elle-même inventés ; l'idée est séduisante. Il faut néanmoins se garder de tout raccourci. Ces comptes sont porteurs d'une esthétique qui demeure occidento-centrée et délibérément grotesque, ce qui participe de la caricature de la génération Y dans laquelle versent bien souvent les médias. Une caricature qui concerne d'ailleurs plus souvent les femmes (qui demeurent les principales utilisatrices d’Instagram), souvent dépeintes comme frivoles et passant leur temps à se crêper le chignon entre deux cocktails un peu trop chargés… Il est néanmoins intéressant de voir qu’ici, ce sont les échecs et les vices qui sont valorisés, comme un pied de nez aux images parfaites et ultra-contrôlées que les réseaux sociaux favorisent généralement.

Une photo publiée par Elliot Tebele (@fuckjerry) le


Au final, une seule chose demeure certaine : si tant est que la Génération Y existe, son esthétique se caractérise avant tout par l'importance du collage et du partage. Comme une mise en abîme d'un monde où plus rien ne se crée mais tout se transforme.

Cet article a d'abord été publié sur Medium