samedi 23 mai 2020

De la légèreté avant toute chose. Comment le Covid-19 transformera en profondeur les contenus


Le confinement est peut-être officiellement terminé mais ses effets se feront sentir pendant plusieurs mois, si ce n’est plusieurs années. Tout d’abord car les crises sanitaire et économique ne sont pas encore derrière nous mais aussi car les goûts des consommateurs en matière de contenus pourraient en ressortir durablement changés.

Stupeur et divertissement 

Nous avons déjà eu l’occasion d’étudier les changements de perceptions et d’attitudes des individus tout au long du confinement. Leur consommation de contenu a aussi beaucoup évolué. La stupeur des premiers jours a d’abord poussé à une recherche frénétique d’informations. Il s’agissait indéniablement de trouver des repères et se rassurer tant bien que mal. L’explosion des audiences des journaux télévisés et les records absolus battus par les allocutions présidentielles en témoignent. Outre l’information, ce besoin de comprendre et trouver du sens s’est même traduit par le succès surprise sur les plateformes de streaming de plusieurs séries et films traitant de pandémies.
 
Cependant, les premières semaines de confinement passées s’est installé une volonté d’escapism, c’est-à-dire de divertissement au sens premier du terme : une fois que l’on a pris connaissance d’une actualité toujours morose, comment se changer les idées ? Dès les premiers jours d’avril, un opérateur télécom confiait ainsi 
au Monde que « le public se précipit[ait] vers la VOD de films “feel good”. » tandis que les séries-doudous comme « Friends » ou « The Office », caractérisées par leur humour bon-enfant et leurs nombreux personnages, ont vu un nouvel afflux d’audience. Enfin, une série de télé-réalité comme « Les Marseillais aux Caraïbes » a aussi battu des records, en dépassant systématiquement le million de téléspectateurs en moyenne par semaine entre fin mars et fin avril (Médiamétrie, mai 2020).

De l’importance d’être léger 

En matière de contenus, « post-confinement » ne veut pas dire « post-Covid 19 ». Il faut maintenant s’attendre à une troisième phase, plus longue et plus profonde, de rattrapage. En effet, les incertitudes engendrées par la situation sanitaire et la dégradation de l’économie devraient continuer à affecter les contenus les plus recherchés par les consommateurs, poussant ainsi les médias à s’ajuster. L’industrie du divertissement figure parmi les premières victimes du Coronavirus ; le besoin croissant d’escapism dans les 18 à 30 mois pourrait ainsi constituer une planche de salut.
 
A ce titre, les historiens du cinéma ont montré que la période 1930-1940, marquée par la Grande Dépression et la 2
nde Guerre Mondiale, constituait parmi les plus belles années de l’âge d’or d’Hollywood. Même en période de profonde instabilité économique et politique, les consommateurs n’hésitaient pas à mettre de l’argent de côté afin de continuer à se rendre au cinéma. Les grands studios multipliaient alors les « screwball comedies », des œuvres au rythme effréné et à l’humour décapant, taillées sur mesure pour éloigner les tracas quotidiens. Ces films étaient souvent marqués par un grand optimisme et la mise en scène de personnes aisées parfois ridicules, parfois fantasques, ce qui permettait de rassurer les spectateurs (« même au plus profond de la crise, il est encore possible d’être riche ») tout autant que les faire rêver.
 
Bien que la situation actuelle soit radicalement différente des années 1930-1940, la période appellera sans doute l’escapism. Demain, les contenus gagnants feront la part belle à l’humour, l’évasion, le spectaculaire ou l’expression personnelle (décoration, cuisine, art, etc.). Signe des temps : Charlie Brooker, créateur de la célèbre série dystopique « Black Mirror », a déclaré 
ne pas souhaiter se pencher sur sa prochaine saison tant que le monde serait aussi sombre. En revanche, il a profité du confinement pour travailler sur… de la comédie.
 
A court terme, ce glissement escapiste restera néanmoins soumis à une importante contrainte : comment produire des contenus en respectant des mesures sanitaires qui demeureront draconiennes ? Un véritable casse-tête pour les tournages, qui pourrait affecter le fond — avec, par exemple, moins de scènes de dialogue rapproché — comme la forme des œuvres, via l’utilisation généralisée d’images de synthèse et doublures numériques.
 
Outre le monde audiovisuel, cette grande quête de légèreté devrait également favoriser les réseaux sociaux dédiés au divertissement et à la créativité individuelle comme Snapchat, Twitch ou TikTok. De même, cela devrait achever d’installer certains jeux vidéo multi-joueurs, colorés et accessibles comme Fortnite, Roblox ou Animal Crossing comme l’une des pierres angulaires de la culture populaire. Enfin, de manière plus indirecte, ce besoin de divertissement se ressentira aussi bien dans les grands médias que dans la publicité, qui doit refléter au plus près la société pour demeurer efficace. Aux marques de saisir l’air du temps afin d’accompagner, temporairement et humblement, les individus à travers la tempête !