Dans cet aréopage fielleux, un nom est un peu à part : H. H. Munro, dit Saki. Ce grand maître de la nouvelle est mort trop jeune lors de la bataille de la Somme, ce qui ne l’a pas empêché de publier en quelques années plusieurs textes étincelants. En témoignent des recueils comme L’Omelette byzantine (publié à titre posthume en 1922) ou son roman L’Insupportable Bassington (1912), l’histoire d’un jeune homme de la bonne société londonienne que sa pauvre mère cherche en vain à marier. Un petit bonbon acide en surface, amer au cœur.
Pour vous donner une idée de la plume de Saki, en voici quelques saillies :
« Quand on vit parmi des lévriers, on doit éviter de présenter de trop bonnes imitations d’un lapin si l’on ne veut pas se faire arracher la tête d’un coup de dent. »
(L’Omelette byzantine)
« Je vis tellement au-dessus de mes moyens que, pour ainsi dire, nous vivons à part. »
« Je vis tellement au-dessus de mes moyens que, pour ainsi dire, nous vivons à part. »
(L’Insupportable Bassington)
« Vous n’êtes pas vraiment mourante, n’est-ce pas ? interrogea Amanda.
« Vous n’êtes pas vraiment mourante, n’est-ce pas ? interrogea Amanda.
— Le docteur m’a donné la permission de vivre jusqu’à mardi, répondit Laura.
En fait, Laura mourut le lundi.
— Cela nous complique vraiment les choses, déplora Amanda auprès de son oncle par alliance, Sir Lulworth Quayne. J’ai invité un tas de gens à venir jouer au golf et à pêcher, et les rhododendrons sont en pleine floraison.
En fait, Laura mourut le lundi.
— Cela nous complique vraiment les choses, déplora Amanda auprès de son oncle par alliance, Sir Lulworth Quayne. J’ai invité un tas de gens à venir jouer au golf et à pêcher, et les rhododendrons sont en pleine floraison.
— Laura a toujours été sans-gêne, répondit Sir Lulworth ; elle est née la semaine du Grand Prix, et alors qu’il y avait dans la maison un ambassadeur qui avait horreur des bébés. »
(L’Omelette byzantine)
Si Saki et ses pairs ont longtemps fait de l’élite, historique ou émergente, la cible de leurs attaques, on serait en mal de trouver des voix équivalentes dans la littérature britannique contemporaine. À partir des années 1980, la satire sociale s’est faite systémique, étendue aux interactions entre toutes les classes, de manière plus ou moins caustique chez Tom Sharpe, Jonathan Coe, David Lodge, Sally Rooney (oui, je sais : elle n’est pas britannique), ou encore Zadie Smith. On perçoit bien quelques « détails de l’intérieur » dans le récent roman-uppercut Assemblage (2021) de Natasha Brown, qui décrit la profonde réflexion d’une jeune femme d’origine jamaïcaine hissée aux portes d’un milieu qui n’est pas le sien — mais ce n’est pas le cœur du livre, qui ne mise d’ailleurs pas du tout sur l’humour.
Il faut dire que la haute aristocratie a aussi changé de visage depuis le début du XXe siècle, pour prendre celui des avocats d’affaires et des financiers. Les country houses ancestrales font désormais moins fantasmer que les jets et les boardrooms. À cette aune, ce qui se rapproche le plus de l’esprit de Saki aujourd’hui, ce ne sont plus des romans mais des séries comme Succession ou Industry — toutes deux créées par des Britanniques — , voire The White Lotus… Abstraction faite de leurs moyens de production colossaux, on retrouve dans ces œuvres le même art de la punchline, les mêmes personnages grotesques et/ou mesquins, ainsi qu’une analyse fine des dynamiques de pouvoir.
Reste néanmoins une importante différence : la critique dans Succession ou Industry est immersive et matérielle. Le lifestyle des hautes élites y est dépeint avec force détails, que l’on imagine conçus pour choquer : les fêtes disproportionnées, les sauts de puce en hélicoptère, l’entourage servile… Or, ces descriptions vont aussi susciter de la fascination lorsqu’elles sont longuement mises en images sur un écran de télévision. Là où Thackeray, Saki ou Waugh construisaient une critique presque tendre, dans des récits ciselés et enlevés, les séries de prestige TV à la HBO s’étendent sur des heures de narration visuelle obscène et jubilatoire. La charge se fait ainsi à la fois plus violente, mais aussi beaucoup plus ambiguë.
En 2025, l’esprit de Saki survit bien mais sous un autre visage : plus acerbe et plus bling-bling !
Il faut dire que la haute aristocratie a aussi changé de visage depuis le début du XXe siècle, pour prendre celui des avocats d’affaires et des financiers. Les country houses ancestrales font désormais moins fantasmer que les jets et les boardrooms. À cette aune, ce qui se rapproche le plus de l’esprit de Saki aujourd’hui, ce ne sont plus des romans mais des séries comme Succession ou Industry — toutes deux créées par des Britanniques — , voire The White Lotus… Abstraction faite de leurs moyens de production colossaux, on retrouve dans ces œuvres le même art de la punchline, les mêmes personnages grotesques et/ou mesquins, ainsi qu’une analyse fine des dynamiques de pouvoir.
Reste néanmoins une importante différence : la critique dans Succession ou Industry est immersive et matérielle. Le lifestyle des hautes élites y est dépeint avec force détails, que l’on imagine conçus pour choquer : les fêtes disproportionnées, les sauts de puce en hélicoptère, l’entourage servile… Or, ces descriptions vont aussi susciter de la fascination lorsqu’elles sont longuement mises en images sur un écran de télévision. Là où Thackeray, Saki ou Waugh construisaient une critique presque tendre, dans des récits ciselés et enlevés, les séries de prestige TV à la HBO s’étendent sur des heures de narration visuelle obscène et jubilatoire. La charge se fait ainsi à la fois plus violente, mais aussi beaucoup plus ambiguë.
En 2025, l’esprit de Saki survit bien mais sous un autre visage : plus acerbe et plus bling-bling !