Une étude réalisée par le cabinet de conseil Bain & Company prévoit une chute de 10% des recettes de l'industrie du luxe en 2009, à 153 milliards d’euros. Rien d’étonnant à cela : on sait qu’environ 60% de la demande en produits de luxe vient des aspirational customers, c'est-à-dire des clients occasionnels n’ayant pas les moyens de se payer des total-look Dior tout au long de l'année. Ces consommateurs, appartenant aussi bien à des CSP modestes que moyennes-supérieures, faisaient depuis un peu plus de dix ans le bonheur des grandes marques, qui boostaient leurs marge grâce à leurs entrées de gamme et aux accessoires fabriqués sous licence (ceintures, lunettes, parfums, etc.). Mais avec la crise, cette demande très sensible aux effets de richesse s’est naturellement contractée, faisant perdre au premier semestre 4% de chiffre d'affaires au groupe français Pinault Printemps Redoute (Gucci, Balenciaga, St Laurent) et jusqu’à 16% au conglomérat suisse Richemont (Cartier, Mont-Blanc, Chloé).
D’après The Economist, seuls LVMH et le groupe Hermès semblent avoir échappé au ralentissement, et affichent encore des chiffres de croissance positifs, grâce au statut particulier de leurs marques-phare, Louis Vuitton et Hermès. Les périodes d’instabilité économique transforment en effet ces deux grands noms du luxe en véritables valeurs refuges, le consommateur «lambda» tendant à dépenser moins afin de s’offrir des biens paradoxalement plus chers mais qu’il estime de meilleure qualité (exemple : acheter une veste hors de prix au lieu de deux paires de chaussures abordables).
Il s’agit tout simplement d’une illustration du phénomène bien connu de "flight to quality", créé ici par un important travail marketing. Si les maisons Vuitton et Hermès n’ont pas manqué de se diversifier comme leurs consoeurs, elles l’ont fait sans jamais se fourvoyer en licencing, afin de garder le contrôle sur la fabrication de leurs produits. Par ailleurs, elles se font un point d’honneur à ne jamais faire de remises : trop dégradant. Si cela est commun à de nombreuses grandes marques, qui n’écoulent leurs stocks qu’à l’abri des regards, sur des sites de ventes privées par exemple, Vuitton va plus loin et détruit carrément ses invendus. Et pour maintenir une certaine homogénéité dans leur politique commerciale, Vuitton et Hermès possèdent leurs propres réseaux de boutiques.
A l’opposé du flight to quality se trouve l’autre méta-tendance qui s’est accélérée avec la crise : le "good-enough". Il s’agit pour les consommateurs de revoir leurs attentes à la baisse afin de faire des économies, en optant pour le "pas trop mal" au détriment du "meilleur". Le concept vient du magazine américain Wired, qui l’applique au seul univers des NTIC. Néanmoins, force est de constater que la tendance est plus globale et bien plus ancienne. On n’en compte plus les illustrations depuis quelques années : compagnies aériennes low-cost, net-books (ordinateurs portables de type Ee-pc), hard-discount, etc. La Dacia Logan, avec ses formes grossières assumées et ses finitions bon-marché, est le symbole de cette nouvelle demande en biens de consommation sans prétention, par opposition à des produits essentiellement portés par leur image.
On note d’ailleurs que le "good-enough" est souvent rapproché de la brand defiance (perte de confiance dans les grandes marques), une autre tendance lourde des années 2000. Des entreprises comme American Apparel ont même fortement capitalisé sur ce sentiment de rejet en couplant modèle économique socialement responsable et esthétique minimaliste. Très récemment encore, la marque de vêtements branchée Freshjive a décidé d’abandonner purement et simplement son nom ainsi que son logo. Mais cette dernière initiative tient à mon avis plus du coup médiatique que du manifeste. Qu’en pensez-vous?