dimanche 17 janvier 2010

Facebook et Internet à l'ère du "tout public"

Mark Zuckerberg, (heureux) fondateur et patron de Facebook, a récemment déclaré lors des Crunchies Awards -une cérémonie de remise de prix dans le domaine des nouvelles technologies- que son site allait prendre une orientation plus ouverte quant à certaines informations privées, car dit-il «le partage [d’informations] c’est la nouvelle norme sociale».
Inutile de dire que de tels propos, surtout venant du jeune homme à la tête du plus important réseau social au monde (350 millions d’utilisateurs en décembre 2009, dont environ 220 millions actifs), ont suscité une grande inquiétude chez de très nombreux internautes.
En réalité, Zuckerberg expliquait qu’à la création de Facebook, il y a maintenant six ans, publier des données en tous genres sur Internet, et a fortiori y dévoiler certains aspects de sa vie privée, restait rare. Néanmoins, l’explosion entre temps du web 2.0 et des médias sociaux (blogs, réseaux, plateformes de partage de liens, microblogging etc.) a rendu de telles pratiques communes, voire banales. Pour lui, rien de plus normal dès lors que de rendre certaines des données de ses membres "publiques par défaut"...

Tout d'abord, faisons remarquer que ce changement de cap n'est pas un simple ajustement de principe à un environnement social changeant : pour Facebook, il s'agit en priorité de lutter contre Twitter, en faisant en sorte que le "mur" de tout un chacun puisse, à terme, se substituer à un compte Twitter. D'où la possibilité, désormais de rendre accessible à l'ensemble de la communauté vos réflexions ou vos liens, de tagguer vos contacts dans vos posts (avec la fonction "@"), ainsi que de relayer ceux de vos amis -une fonction bien connue des utilisateurs de Twitter comme le "retweet".
Mais au delà du caractère purement stratégique de la manœuvre, force est d'admettre que Zuckerberg n'a peut-être pas entièrement tort : le public semble bel et bien être devenu la norme, sous l'influence de deux meta-tendances :

- D'un côté, la montée de l'individualisme comme fruit de la post-modernité et du post-matérialisme, se traduisant par l'exacerbation du besoin de reconnaissance (ce blog n'en est-il pas la preuve?). Ce second point  trouve tout son sens dans le développement des réseaux sociaux. On y met  en effet toutes sortes de données plus ou moins intimes afin de nous sentir à la fois intégré dans un groupe et respecté par nos pairs.Ca ne vous rappelle rien? Bien sûr, le modèle de Maslow est extrêmement simpliste et se fait vieux, mais il reste utile pour comprendre certaines évolutions sociétales sans pour autant se prendre pour un prof au Collège de France ou un gourou du marketing...
- De l'autre côté, l'obsession grandissante pour l'information, quelle qu'elle soit. Celle-ci se fait ressentir depuis des années déjà dans l'idée de transparence, autre avatar post-moderne tenant autant de l'hygiénisme que du néolibéralisme. Cette obsession pour l'info (surnommée par certains infolust, contraction "d'information" et de "lust" -littéralement, "concupiscence"), est aujourd'hui renforcée par les immenses ressources offertes par Internet, et par leur facilité d'accès grandissante (on songe notamment au développement de l'Internet mobile, révolution en devenir). Qui n'a ainsi  jamais cherché son nom ou celui de proches dans Google?

La position de Zuckerberg se défend, donc. Elle se retrouve même dans une étude publiée il y a plus de  2 ans par le think-tank américain Pew Research Center. Mais elle ouvre de nouveau les débats classiques autour de la frontière très mouvante entre sphères privée et publique à l'ère d'Internet... Se dirige-t-on vers une société du tout-public, d'hypersurveillance, voire de "sous-veillance" (surveillance venant d'en bas et non plus d'en haut) pour reprendre l'expression de Jean-Gabriel Ganascia? Car, en réalité, le problème d'Internet n'est pas uniquement de permettre à tous de savoir ce que vous faites ou pensez à un moment T, mais tout ce vous avez fait auparavant. Le web a une très longue mémoire, et les casseroles virtuelles sont particulièrement difficiles à trimballer...

Mais si, en réalité, les gens contrôlaient plus leur données qu'on ne le croit?
Les usagers d'Internet sont désormais plus conscients que de nombreuses informations à leur sujet peuvent circuler sur le toile et les vérifient régulièrement, en tapant leur nom dans les moteurs de recherche du "deep web" tels que WebMii, 123People ou Pipl, par exemple.
Par ailleurs, on assiste depuis quelques temps au développement de nombreuses entreprises spécialisées dans l'élimination de données en ligne jugées néfastes aussi bien pour les particuliers que les entreprises. La défense des données personnelles devrait être selon Trensdwatching une tendance lourde dans les prochaines années.
Au delà, tous les internautes ne cherchent pas à effacer leur traces ; certains cherchent même à en laisser le plus possible, afin d'accroître leur visibilité en ligne -et leur crédibilité. Cela rentre dans une logique de self marketing, ou personal branding.
En fait, le sociologue spécialiste des nouveaux usages du numérique Dominique Cardon montre  que les internautes ne sont pas si démunis face aux dangers du tout-public. Il semble que la transparence soit devenue la norme, mais qu'en parallèle les usagers développent des stratégies d'une très grande complexité quant à ce qu'ils souhaitent ou non dévoiler d'eux sur Internet. Comme l'écrit Cardon "Le contrôle [de l'] image fait partie de la dynamique de l’impudeur". Il s'agit là de deux aspects d'un même phénomène, celui du changement radical du rapport à l'identité sur Internet.


2 commentaires:

  1. Article très intéressant ! merci !

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  2. Joyeux anniversaire à mon coup de coeur des blogs hype

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