dimanche 5 octobre 2014

Ello ou l'obsession puérile du "prochain Facebook"


Ce qui est bien avec Ello, c’est qu’il ne se sera pas passé plus d’une semaine entre le moment où les médias et le grand public se sont emballés pour ce nouveau réseau social et celui où bon nombre ont retourné leur veste pour l’enterrer...

Reprenons donc : Ello est une plateforme de partage minimaliste, à l’esprit proche d’un Tumblr, dont le premier -et unique- argument de vente est d’être fermée à toute forme de publicité. En effet, ses créateurs veulent libérer les consciences des internautes en leur rappelant qu’ils ne sont pas que des vaches à data. Résultat : si Ello nie son opposition frontale à Facebook, tout ce que le Web compte de pigistes sensationnalistes et de pseudo-experts social media s’est vite mis à l’appeler "l’anti-Facebook"... Avec pour suite logique un engouement disproportionné pour un site qui n’est pour l’instant qu’en beta. La plateforme recevrait jusqu’à 45.000 demandes d’adhésion par heure.
Pour les observateurs, c’est clair : de site anti-Facebook, Ello est instantanément devenu le prochain Facebook. Chaud pour toi, Mark !

Puis rapidement, journalistes, blogueurs et twittos ont repris leurs esprits. Les uns ont testé Ello et en sont vite revenus. Les autres s’offusquent de lire dans ses conditions générales d’utilisation qu’en réalité le réseau militant se réserve malgré tout le droit de partager vos données personnelles avec des tiers... Et certains vieux sages improvisés vont même jusqu’à prononcer son arrêt de mort d’ici quelques mois...
Extrait de Google Trends entre 2010 et 2014 — Ça fait un paquet de "prochains Facebook"...

Beaucoup de bruit pour rien? Oui... sauf si le plus parlant ici, c'est bien le bruit !
Car Ello n’est pas tant intéressant pour son principe que pour les attentes puériles qu'il suscite.

En effet, chercher le "prochain Facebook" est une démarche aussi naïve que stérile. 

D'une part cela nous met des œillères en dirigeant l'attention uniquement vers des services similaires à Facebook. Or, le Web est protéiforme, et la "next big thing" ne ressemble probablement pas à un site fermé sur lequel chacun peut créer un profil et envoyer des pokes à ses amis...

D'autre part, cela revient indirectement à considérer le monde des médias sociaux et d'Internet en général comme un jeu à somme nulle, une chaîne alimentaire au sommet de laquelle seuls survivent quelques géants. S'il est vrai que l'Histoire numérique comptera toujours des empereurs déchus (par exemple, Altavista et MySpace) aux mains d'autres (et leurs tombeurs, Google et Facebook), l'immense majorité de ses protagonistes cohabitent. Cela ne veut pas dire qu'ils ne se concurrencent pas, bien au contraire. Simplement, ils s'organisent en systèmes complexes qui lient aussi bien des mastodontes comme Twitter ou LinkedIn que des services plus discrets comme Secret ou Wanelo. Dans ce contexte, Ello ne deviendra jamais "le prochain Facebook". Mais Snapchat ou Line non plus, malgré leurs 100 et 500 millions d'utilisateurs respectifs...

Il nous faut absolument changer d'approche quant aux nouvelles plateformes numériques.

Elles ne se succèdent pas de manière linéaire mais naissent et grandissent en systèmes. Certaines sont vouées à dominer, d'autres à prospérer de manière plus ou moins isolée, et d'autres enfin à mourir dans l'indifférence. Et s'il n'y a pas à proprement parler de "prochain Facebook", il existe néanmoins des dizaines de pépites numériques en passe d'exploser. A nous de les découvrir en tâchant de ne pas rester obsédés par des épiphénomènes comme Ello, qui ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. Une démarche que j'avais tenté d'adopter dans une petite étude publiée en juin, intitulée Radar Report, dont vous pourrez trouver un résumé (un peu daté, car depuis ma sélection a encore évolué) ici !

Cet article a également été publié sur la plateforme Medium


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire