Mercredi matin, Instagram lançait Instagram Stories. Cette nouvelle fonction permet de partager en rafale des photos personnalisées qui s’effacent au bout de 24h. Le rapprochement avec la “story” de Snapchat est inévitable : même nom, même objectif, même temporalité. Un “look and feel” identique jusqu’aux icônes ! Cependant, la première chose notable ici n’est pas le plagiat avéré et dénoncé par les internautes mais bien le fait qu’il soit pleinement assumé par Kevin Systrom, le créateur d’Instagram.
Leçon n°1 : Dans le numérique, copier n’est pas (toujours) (forcément) piller
A vrai dire, les géants du numérique se sont toujours librement copiés les uns-les autres. Déjà en 2012, j’écrivais sur mon blog un papier sur la convergence des interfaces et services des grands réseaux sociaux. Twitter et Google ont largement piqué des idées chez Facebook, qui a pris à son tour des idées chez Twitter, Instagram (pas encore dans son giron), Foursquare ou encore Snapchat. Snapchat qui a, de son côté, pompé Line et Masquerade, tandis que LinkedIn s’est volontiers inspiré de Medium et Facebook… Une liste qui pourrait s’allonger à l’infini.
Systrom souligne très justement que les mécaniques et «formats» se diffusent dans l’écosystème numérique et permettent ainsi l’innovation en grappes, faisant naître à leur tour de nouveaux services :
“You can’t just recreate another product. But you can say ‘what’s really awesome about a format? And does it apply to our network?’ (…) Gmail was not the first email client. Google Maps was certainly not the first map. The iPhone was definitely not the first phone. The question is what do you do with that format? What do you do with that idea? Do you build on it? Do you add new things? Are you trying to bring it in a new direction?”
Ce qui nous amène au second point intéressant ici. Si Kevin Systrom a fait sien le concept des Snapchat Stories, c’est qu’il s’agit d’une innovation plus profonde qu’elle n’en a l’air.
Leçon n°2 : bienvenue dans l’ère de la “communication imparfaite”
Depuis sa création, Instagram s’est affirmé comme le média du contrôle de l’image. On y travestit la réalité en embellissant sa vie à coup de filtres vintage. Chaque photo exige beaucoup de temps car elle doit être parfaite — lumière, couleur, cadrage, tilt shift, sans oublier une légende pleine de hashtags et emojis bien sentis — pour recueillir de nombreux likes. Chaque publication est ainsi une petite prise de risque qui expose l’utilisateur aux commentaires de centaines de millions de personnes.
Sur Snapchat, en revanche, la valeur du partage vient du volume : on y publie en rafale, sans se soucier de la qualité d’images qui, de toutes façons, sont noyées parmi des dizaines d’autres et disparaissent au bout de quelques secondes ou quelques heures. Bien sûr, les Snaps peuvent être enregistrés et demeurent probablement stockés sur un serveur, mais qu’importe : symboliquement, elles n’engagent à rien et permettent de se raconter de manière plus légère, plus libre. Avec ses filtres crétins, ses stickers et sa fonction dessin minimaliste, l’esthétique de Snapchat est délibérément bouillonnante, insignifiante, insouciante — en un mot, imparfaite. Elle parle ainsi droit au cœur d’une génération à laquelle on apprend dès le plus jeune âge à “se tenir” en lui répétant que ses agissements en ligne resteront gravés dans le marbre… et pourront être retenus contre elle.
Le lancement d’Instagram Stories est le signe que cette approche ludique et décomplexée ne se restreint plus à Snapchat et se diffuse aux autres médias sociaux, voire aux autres médias tout court.
En effet, le succès croissant de cette esthétique de l’imperfection devrait bientôt affecter le discours des marques. Car derrière l’idée d’imperfection assumée, il y a celles d’honnêteté, d’humilité et surtout de sincérité. Aujourd’hui, la plupart des marques communiquent avec force précaution. Comme les photos sur Instagram, le moindre tweet, la moindre copy doivent être parfaits et, pour cela, passent par d’innombrables processus de validation. A l’inverse, la communication imparfaite suggère de tester toutes sortes de choses (dans la limite du raisonnable) en veillant simplement à rester sincère, honnête et humble de bout en bout. On pardonnera volontiers à une marque de s’être plantée sur une campagne ou un produit si sa démarche est perçue comme non calculée.
Il ne s’agit pas de communiquer de manière fantasque et irréfléchie, mais au contraire de repenser son discours afin qu’il soit plus simple, plus cohérent et ainsi plus résilient. Une philosophie à rapprocher de l’amélioration incrémentale en vigueur dans bien des start-ups : oser sortir un produit imparfait mais “suffisamment bon” pour ensuite l’améliorer sans cesse grâce au dialogue avec les consommateurs. Un véritable pari qui ne peut s’appliquer à tous les annonceurs mais pourrait bien changer le visage de quelques-uns...