Je
souhaite ici formaliser une réflexion qui m’obsède et que je précise de
réunion client en réunion client depuis la sortie il y a plusieurs mois
de notre dernier rapport de tendances Age of Immersion.
Trois phénomènes numériques se développent aujourd’hui en parallèle :
- D’une part, les machines voient leur intelligence artificielle progresser de manière exponentielle, notamment grâce aux avancées du machine learning ;
- D’autre part, les objets connectés tels que les smartphones, télévisions, enceintes, voitures ou montres prennent peu à peu place dans notre quotidien. Surtout, ils commencent (enfin) à échanger entre eux, ce qui leur offrira bientôt une grande connaissance contextuelle ;
- Enfin, les interfaces homme/machine se font chaque jour plus naturelles grâce à l’utilisation de capteurs sophistiqués de reconnaissance vocale, de chaleur, de mouvement, de micro-expressions, etc. Si les interfaces « classiques », reposant sur des écrans et des boutons ne disparaissent pas, elles devraient se faire de plus en plus discrètes en s’intégrant dans tous les objets du quotidien voire en prenant des formes nouvelles, comme des lunettes de réalité mixte.
L’incarnation
de ce triple phénomène, c’est bien entendu le spectaculaire succès des
assistants virtuels à la Alexa, Siri ou Google Assistant : des
interfaces invisibles auxquelles on s’adresse dans une langue simple et
naturelle. Grâce à l’AI, ces programmes apprennent à mieux nous
comprendre et nous connaître à chaque nouvelle requête. En outre, la
liste de leurs fonctions ne cesse de s’allonger à mesure qu’elles
s’interconnectent entre elles (Amazon et Microsoft viennent ainsi de
signer un partenariat afin de permettre à Alexa et Cortana de communiquer) ou avec d’autres services comme Uber, Shazam ou Kayak.
Plus
important encore : ces trois phénomènes sont liés et se renforcent
mutuellement. Parce que les objets connectés sont bardés de capteurs et
communiquent, ils gagnent en intelligence contextuelle. Parce que cette
technologie est de plus en plus intelligente, on peut interagir avec
elle de manière toujours plus intuitive et elle nous rend des services
toujours plus importants. Parce qu'elle est de plus en plus intuitive et
utile, elle s'intègre toujours plus profondément dans tous les aspects
de notre quotidien. Et parce qu'elle s'intègre toujours plus
profondément, nous interagissons avec elle sans même nous en rendre
compte — jusqu’à ce qu’elle finisse par simplement anticiper nos
besoins.
La technologie va progressivement se faire omniprésente et omnisciente. Cette révolution discrète pourrait rapidement changer notre manière de travailler, communiquer ou consommer.
En
effet, une grande partie de nos interactions avec la technologie est
aujourd’hui encore délibérée, directe et tangible : pour obtenir une
information ou réaliser une tâche, on pianote un clavier, on swipe un
écran tactile ou l’on donne des ordres par la voix. Demain, en revanche,
une immense partie des tâches sera automatisée grâce à l'omniscience de
la technologie. Plus besoin alors de demander, les machines nous
connaîtront suffisamment pour prendre les devants pour nous.
- Votre voiture donnera l’ordre à votre porte de parking de s’ouvrir et allumera automatiquement les lampes de votre salon s’il fait nuit ;
- Votre matelas calculera votre température corporelle et ajustera automatiquement la climatisation de la chambre pour optimiser vos cycles de sommeil ;
- Votre agenda numérique programmera votre réveil, préparera du café et commandera automatiquement un taxi s’il repère que vous prenez l’avion anormalement tôt pour un voyage d’affaires.
Est-ce
à dire que les interfaces classiques, tangibles, vont disparaître ?
Non — simplement qu'à l'avenir, ces interfaces seront minoritaires et
secondées par des interfaces invisibles et intangibles, créées par
l'interaction “en fond” des plateformes technologiques entre elles.
Pour mieux visualiser cette répartition des tâches, pensez à un iceberg. La partie émergée représente les interactions homme/machine directes et tangibles. La partie immergée, quant à elle, est beaucoup plus importante et réunit les interactions indirectes entre plateformes. Les deux pôles ne cessent d’échanger des informations ou des ordres.
Pour mieux visualiser cette répartition des tâches, pensez à un iceberg. La partie émergée représente les interactions homme/machine directes et tangibles. La partie immergée, quant à elle, est beaucoup plus importante et réunit les interactions indirectes entre plateformes. Les deux pôles ne cessent d’échanger des informations ou des ordres.
Pour les annonceurs et les médias, les répercussions de ce nouveau modèle sont potentiellement immenses.
En effet, à l’heure où le digital et le monde réel se confondent complètement, chaque interface homme/machine devient de facto une interface consommateur/marque.
Cela
présente d’abord un risque majeur pour les outsiders. Une part
importante des achats récurrents devrait être à terme automatisée. Dès
lors, l’automatisation favorisera les marques déjà achetées, exacerbant
les différences ente leaders et challengers de chaque catégorie. Si un
fabricant de shampooing parvient à pénétrer la partie immergée de
l’iceberg, il bénéficiera en quelque sorte d’une rente liée à
l’automatisation. Inversement, il sera de plus en plus difficile pour
des marques ou produits challengers de se faire une place sur une liste
de courses.
L’une
des possibilités pour entrer dans la partie immergée sera de conclure
des accords avec les propriétaires des plateformes technologiques afin
qu’ils favorisent tel ou tel produit : “je paie Amazon ou Google afin
qu’ils vendent un priorité mon shampooing, quitte à faire en outre des
promotions”. Il s’agit là d’une réactualisation du travail de
négociation déjà à l’œuvre entre les grands distributeurs et les
marques, si ce n’est qu’ici, les intermédiaires ont changé et leur
pouvoir devrait aller croissant avec l’automatisation.
L’autre
possibilité, c’est de créer des écosystèmes serviciels liant interfaces
tangibles et intangibles. Car ce nouveau paradigme technologique et
marketing est en effet porteur d’une immense opportunité : dépasser le
seul produit pour créer une relation ancrée dans le quotidien, plus
intime et plus durable avec les clients.
L’avenir
repose donc sur l’échange permanent entre ces interfaces émergées, que
l’on connaît déjà en partie, et immergées, qui restent à définir en
liant diverses plateformes pour répondre à des besoins consommateurs.
Quelques pistes :
- Je réserve un billet d’avion et des hôtels pour me rendre dans un pays étranger. Immédiatement, mon compte New York Times m’envoie un résumé de l’actualité sociale, économique et culturelle du dit-pays ces 12 derniers mois et me propose de me donner des bons plans locaux issus de sa rubrique Travel. Si j’accepte, ces informations pourront ensuite être transmises au service de conciergerie rattaché à ma carte bancaire.
- Je reçois chaque mois une crème visage sur-mesure L’Oréal concoctée par des algorithmes et des experts en prenant en compte mon style de vie, mon âge, mon type de peau, etc. Si mon compte L’Oréal observe une explosion des voyages d’affaires ces derniers temps, il adaptera automatiquement le cocktail pour lutter contre la fatigue et me proposera de réserver à prix préférentiel un traitement dans un SPA près de chez moi ou directement sur place lors de mon prochain déplacement.
- Je regarde sur ma télévision un court-métrage d’un réalisateur prestigieux pour le nouveau parfum Guerlain. Automatiquement, la publicité ordonne à mes lumières connectées de se baisser et prendre une couleur bleu profond afin de créer une expérience immersive. Si je regarde la vidéo jusqu’au bout, on me propose de déposer un échantillon dans ma boîte aux lettres sous deux heures ou, si je suis reconnu comme client fidèle de la maison, de me rendre à la soirée de lancement pour discuter avec un maître parfumeur.
- Mon compte Marmiton communique avec ma cuisine intelligente et me propose des recettes en fonction de mes réserves. Il peut aussi m’indiquer d’acheter des ingrédients supplémentaires et me mettre en relation avec d’autres utilisateurs à proximité pour leur emprunter les ustensiles de cuisine qui pourraient me manquer.
- Ma Volkswagen a besoin d’une révision. Elle consulte mon agenda numérique et programme un rendez-vous dans une période où je ne risque pas d’en avoir besoin. Le jour J, un coursier vient la chercher et la remplace par un modèle plus récent et correspondant à mes besoins. S’il me plaît, je peux choisir de le garder au-delà de la période de prêt de remplacement, voire de l’acheter avec une belle reprise.
On
le voit : les possibilités sont innombrables. Plus les plateformes et
sources de données seront interconnectées, plus les marques et médias
pourront créer des services nouveaux qui les ancreront dans le quotidien
de chacun.
Si
cette transformation sera progressive, la technologie étant loin d’être
prête, il nous faut la préparer dès maintenant. Médias et marques
devront multiplier les accords et replacer leurs produits au cœur
d’écosystèmes technologiques et marketing plus vastes et plus riches.
Une réflexion d’autant plus vitale qu’elle pourrait permettre, à terme,
une remise à plat bienvenue du contrat marque/média/consommateur.