mercredi 16 septembre 2009

Crayons à papier et art contemporain

Il paraît que le petit monde de l’art s’ennuie souvent et que tout est bon pour y créer ne serait-ce qu’un semblant d’animation. Pendant longtemps, le meilleur moyen de se divertir était le scandale : une bonne petite œuvre sulfureuse ou une prise de position ultra-radicale, et tout le monde -artistes, critiques, journalistes, public- y trouvait son compte pour quelques mois, voire quelques années. Désormais, les artistes peuvent également amuser la galerie (lol) en se brouillant violemment en public.

Pour preuve, le spectaculaire différend qui oppose depuis un an le britannique Damien Hirst, pape du Brit-Art devenu célèbre avec ses corps d’animaux plongés dans du formol, à un jeune artiste urbain de 17 ans surnommé Cartrain. Cartrain est avant tout grapheur, mais réalise également des collages dans lesquels il détourne l’imagerie pop (Mickey, Clint Eastwood, etc.). Rien de très original là-dedans ; juqu’au jour où le gamin s’approprie, non sans malice, le visuel de For the Love of God, œuvre très controversée de Hirst prenant la forme d’un crâne en platine incrusté de quelques 8601 diamants. Les collages ainsi créés (cf. photo de droite) sont mis en vente sur Internet au prix moyen de 65 livres/pièce (74 euros)... ce qui provoque l’ire de Damien Hirst, qui voit là une atteinte à ses droits d’auteurs, et ne tarde pas à saisir la Design and Artists Copyright Society (DACS) afin de réclamer des royalties. Inutile de dire qu’une attitude aussi intransigeante a fait jaser, car depuis sa très mégalomane vente personnelle du 15 septembre 2008, Damien Hirst est considéré comme l’artiste le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 230 millions d’euros. Malgré la sympathie suscitée par Cartrain, les oeuvres incriminées seront retirées de la vente, non sans avoir créé un sacré buzz autour de ce dernier. Un buzz que Cartrain a visiblement décidé d’entretenir : en juillet dernier, le gamin a dérobé une boîte de crayons faisant partie de l’installation Pharmacy, présentée par Hirst à la Tate Gallery. (photo du haut). Peu après cette disparition, le pugnace grapheur a envoyé une lettre à Hirst en le menaçant de les tailler sauvagement s’il ne se pliait pas à ses exigences. Heureusement pour les crayons (qui n’étaient qu’une partie de la gigantesque oeuvre, mais étaient néanmoins estimés en tant que tels à près 563.000 euros), leur propriétaire est revanchard, et Cartrain a été arrêté par la police début septembre. Il s’en tirera sans doute avec une bonne amende et une crédibilité underground accrue.

Que nous apprend cette improbable guéguerre tenant autant du combat David/Goliath que du clash entre 50 Cent et Kanye West? Tout d’abord, que le monde de l’art subit, à l’image de la société dans son ensemble, une juridicisation croissante. Bien sûr, les droits d’auteur ne datent pas d’hier, et protéger la propriété intellectuelle est vital ; mais certaines œuvres ou concepts artistiques sont désormais aussi jalousement gardés que des brevets. Cela est d’autant plus vrai à l’heure des «artistes-entrepreneurs» et «artistes-gestionnaires», ces plasticiens qui ne touchent plus réellement à leurs œuvres et se contentent de les concevoir et d’en laisser l’exécution et la diffusion à leur staff.
Car, au delà, le monde de l’art est désormais une véritable industrie, comme peuvent l’être le cinéma ou la pop music. Si, les gens ne semblent s’en être rendus compte qu’avec la récente installation à Versailles de sculptures de Xavier Veilhan (cf. photo de gauche), dont le seul coût de production atteindrait les 850.000 euros, la tendance est plus ancienne et se retrouvait déjà dans la Factory d’un Warhol. Ce sont les années 90 qui auraient néanmoins accéléré la tendance et entraîné ce changement de paradigme. L’art, comme on se plaît à le dire dès qu’il y a un peu trop de queue au musée, serait devenu un objet de grande consommation, avec ses blockbusters, les grandes expositions draînant des centaines de milliers de visiteurs (Picasso au Grand Palais, Kandisky à Beaubourg) ses superstars (Hirst, Koons, Eliasson, Buren, etc.) et ses produits dérivés plus ou moins bon marché.

La première conséquence de ce nouveau paradigme, c’est que si l’on veut percer aujourd’hui, mieux vaut s’y connaître un minimum en self-marketing. Cartrain l’a apparemment bien compris. Pour ceux qui ne se sentent pas d’aller jusqu’au vol d’oeuvre, les outils de promotion se multiplient sur Internet, à l’image d’Arlo, une sorte de Myspace pour artistes.
La seconde conséquence de cette «industrialisation» de l’art, c’est le rapprochement progressif de l’art contemporain et de son «frère bâtard» le design. Théoriquement opposées par la distinction  classique entre art et technique, les deux disciplines tendent pourtant à se  rejoindre, et ce depuis toujours. Aristote n’avait qu’un terme (technê) pour désigner à la fois «création artistique» et «savoir-faire», et cette continuité fait sens aujourd’hui, en ce sens que l’art actuel fait appel aux technologies les plus avancées tandis que le design s’est affirmé depuis l’après-guerre comme un puissant vecteur d’expression artistique. C’est ainsi que les frères Bouroullec, designers très en vogue, exposent en galerie, tandis que l’oeuvre d’un Takashi Murakami trouve son extension naturelle dans des sacs à main Vuitton. Le milieu du design lui-même n’échappe pas au star-system : la BBC2 lance cette semaine sa nouvelle émission de télé-réalité, intitulée Design for Life, dans laquelle le très télégénique Philippe Starck part à la recherche d’un successeur, sur le modèle de The Apprentice.

Faut-il voir dans ce gigantesque mélange des genres le déclin tant de fois annoncé de l’Art? Non, bien sûr : tous les artistes ne sont pas de richissimes rockstars, et beaucoup en sont restés à des supports de création plus modestes mais tout aussi féconds. Certains optent même pour une approche low-fi, plus traditionnelle et directe, en réaction à cette tendance. Par ailleurs, n’oublions pas que l’image de l’artiste en tant que génie seul face à son chevalet est quelque peu romantique : les grands maîtres étaient souvent épaulés par de nombreux apprentis.
En réalité, ce processus d’industrialisation de l’Art peut être envisagé comme une chance. S’il conduit et conduira sans doute à des excès (spéculation, déshumanisation des œuvres), c’est également l’occasion pour l’art de s’immiscer partout, de l’exposition la plus grandiose au bien de consommation le plus trivial, donnant ainsi un peu plus de relief à notre vie quotidienne.
Mais peut-être suis-je naïf. Qu'en pensez-vous?

NB : je ne suis pas spécialiste de l'art contemporain, juste amateur. Si je me trompe quelque part, n'hésitez pas à m'en faire part...


2 commentaires:

  1. Un commentaire encore plus naïf de quelqu'un qui n'est ni spécialiste ni même vraiment amateur de l'art contemporain...

    Je pense aussi que l'industrialisation de l'art reflète tout simplement l'évolution de nos sociétés.

    Dans "La muraille de brume" Madeleine Leblanc écrivait " L'art n'est qu'une forme d'expression, un moyen d'extérioriser un trop plein d'amour ou de souffrance."
    Les artistes aujourd'hui ne vivent pas les mêmes souffrances que ceux du passé. La faim, la misère touchent moins nos sociétés que celles des siècles précédents. Dès lors, si l'artiste, qui n'a plus besoin d'exprimer sa souffrance, ne ressent plus le besoin de réaliser son oeuvre, il ne s'agit pas d'un déclin, bien au contraire, mais d'une évolution sociale positive...
    Demeure alors la question de savoir si l'artiste contemporain ne ressent plus non plus un trop plein d'amour. Dans une société où aimer et consommer s'intellectualisent... cela ne m'étonnerait pas.


    PS. Anna Milena: la chance!!

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  2. ah ouais putain, ana milena en prof d'espagnol tu gères là

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