lundi 30 août 2010

Slate repousse-t-il les limites du New Journalism?

Le prochain album de Kanye West, Dark Twisted Fantasy devrait sortir en novembre prochain. En attendant, le rappeur est en promo... mais accorde très peu d'interviews aux média traditionnels. En revanche, il sature les réseaux sociaux de messages en tous genres, que ce soit sur Youtube, Facebook, son blog et surtout sur Twitter. C'est à partir de cette "montagne" d'informations mises à jour en permanence que le pop critic Jonah Weiner a reconstitué pour Slate un portrait complet de l'artiste sans le rencontrer ou même lui poser une question!

L'exercice, réussi avec brio, rend hommage à l'article Frank Sinatra Has a Cold, publié par le magazine Esquire en 1966. A l'époque, le journaliste Gay Talese avait réalisé le "profile" du plus grand des crooners malgré son refus d'accorder une quelconque interview, en passant uniquement par les témoignages de ses proches. Publié quelques mois à peine après la parution de De Sang froid de Truman Capote (sous forme de feuilleton dans le NY Times), Frank Sinatra Has a Cold posera un jalon de ce que Tom Wolfe appellera plus tard le "new journalism", une forme de journalisme rigoureuse avec les faits mais qui n'hésite pas à les narrer plus que les restituer, en usant par exemple d'empathie.

Aujourd'hui, l'utilisation de techniques empruntées à la fiction est monnaie courante dans la presse anglosaxonne, et ce n'est pas sur cela que l'article de Weiner se distingue. En réalité, ce portrait (plutôt risible au demeurant, mais on s'est habitué aux innombrables frasques du rappeur de Chicago) est surtout inédit dans le sens où il n'a pas été réalisé à partir d'anecdotes ou de bribes d'informations recueillies dans l'entourage de la star, mais grâce aux centaines d'informations données par West lui-même sur les réseaux sociaux.

Que penser, dès lors, de cette "prouesse" journalistique? Faut-il s'en réjouir, y voir la preuve qu'un bon reporter peut travailler à partir de n'importe quel matériau, même le plus trivial, pour en extraire un portrait presque plus honnête que s'il avait été fait de manière traditionnelle? Est-ce le signe d'un soubresaut du journalisme qui, pour se défendre face aux bouleversements occasionnés par le web 2.0, joue et tourne en ridicule certains de ses codes? Ou, au contraire, un tel papier n'est-il pas inquiétant en ce sens qu'il montre qu'on peut écrire n'importe quoi sur n'importe qui sans avoir à effectuer un quelconque travail de recherche ou de réflexion?

Une chose est sûre : l'article de Weiner montre que tout un chacun peut désormais construire son propre récit, son propre mythe (au sens premier du terme) uniquement via sa présence 2.0. On s'en doutait, certes... mais le fait qu'un journaliste parvienne à recréer un portrait complet en s'abonnant à un pauvre fil Twitter et une page Facebook est symptomatique. Passionnant sujet sur lequel j'espère revenir un de ces jours.

Qu'en pensez-vous?


Pour les curieux, voici le lien vers l'article original Frank Sinatra Has a Cold


2 commentaires:

  1. Ca me fait penser à cet article du Tigre qui avait reconstitué la vie d'un mec uniquement à partir des données qu'il avait laissé trainer en ligne : http://www.le-tigre.net/Marc-L.html

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  2. Oui effectivement, ça s'en rapproche, même si l'article du Tigre était moins "romancé" et plus dans la "lettre ouverte" :)

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