vendredi 29 octobre 2010

Comment Coca a transformé son jingle en tube(s)


Il y a quelques temps, je vous parlais de brand content, une des grosses tendances de communication de ces deux-trois dernières années... Pour rappel, le brand content consiste pour une marque à produire elle-même des contenus afin de développer son identité. Les contenus en question peuvent aller du programme complet de fitness à la communauté en ligne autour d'un objet culte, en passant par d'innombrables courts et moyens-métrages "événements" réalisés par de grands noms du cinéma...

Mais le brand content ultime, le must pour un annonceur qui a un énorme budget, c'est la musique, et plus précisément le gros single qui va bénéficier d'une rotation FM de folie et tourner en boucle sur les réseaux sociaux. C'est la stratégie adoptée par Coca-Cola depuis l'année dernière, et ça leur réussit plutôt pas mal.


Explication : début 2009, Coca a lancé une campagne globale pour sa nouvelle signature "Open Happiness" (ou "Ouvre du bonheur", ce qui est un peu crétin mais bon), signée par l'agence McCann-Erickson.
Pour accompagner la campagne, Coca-Cola avait réuni à l’époque plusieurs idoles des ados —Cee-Lo Green, Pete Wentz, Travis McCoy, etc.— pour former un supergroupe et créer un morceau construit sur son seul-jingle (vous savez le "tin,tin,tin,tintin"). Le résultat, un horrible patchwork musical intitulé justement Open Happiness, est sorti en single avant l’été 2009, mais n'a pas rencontré le succès escompté (à part en Chine...).

L'expérience n'a pas découragé Coca, qui a remis le couvert en 2010, à l'occasion de la Coupe du monde de foot. La marque s'est rapprochée de K'naan, un artiste canadien d'origine somalienne, pour lui faire ré-enregistrer son single Wavin' Flag, qui avait déjà connu un certain succès au Canada. La "version Coca" de Wavin’ Flag, sous-titrée Celebration mix, est plus pêchue, moins sombre (certaines paroles ont été édulcorées) et surtout comporte la phrase musicale du jingle du célèbre soda.
Au-delà, une vingtaine de versions bilingues ont été enregistrées avec des artistes locaux (allez, je vous mets la version japonaise qui est trop lol).
 
Le single a connu un immense succès, se classant dans le top 10 de nombreux pays, et occupant le sommet des charts européens durant toute la période de Coupe du monde, grillant même temporairement la politesse à Waka Waka (This Time for Africa) de Shakira, pourtant chanson officielle de la compétition (Waka Waka qui, au passage, a été entièrement co-écrite par l’agence de publicité Ogilvy, ça fait rêver).

Résultat : Coca-Cola est ressorti sponsor le mieux mémorisé du mondial, tout en divisant par deux ses dépenses publicitaires. Et là on dit : Epic WIN.

Du coup, la marque a décidé d’exploiter comme il se doit le filon du «single/jingle», en commandant au groupe Train  (à qui on doit le sirupeux Hey Soul Sister, que les lycéennes kiffent grave quand il passe sur Virgin Radio) un nouveau morceau à Noël... La chanson en question s’appelle Shake up Christmas et reprend une fois de plus le jingle de la marque.

C’est vraiment sur ce point que j’aimerais insister. Qu’une marque s’associe à un artiste et fasse la promotion de sa musique n’est pas nouveau ; Coca avait déjà favorisé le grand succès de Bad Day de Daniel Powter, en 2005-2006. En revanche, le fait qu’un jingle commercial serve de base non pas à un mais plusieurs morceaux me paraît inédit.
En 2003, McDonald’s lançait la première campagne mondiale de son histoire en faisant d’un single sans intérêt de Justin Timberlake, I’m Lovin it, une signature qui retentit —littéralement— aux quatre coins du monde. Mais aujourd’hui, c’est la marque elle-même qui sert de base à la création musicale.

Il n’y a pas lieu de se réjouir d’un tel phénomène. Cependant, il n’y a pas de raison de s’en scandaliser non plus. Le succès de Wavin’ Flag (Celebration Mix) ne signe pas la mort de la musique, qui serait "cannibalisée" par la publicité. En réalité, cette tendance est pour moi symptomatique de l’effacement progressif —mais jamais complet— des frontières entre culture, pop culture, low culture et publicité (si vous n’aviez pas remarqué c’est un peu une obsession chez moi). Il faudra donc s’habituer à voir d’autres initiatives du même type dans le futur...


Bonus : une vidéo de Wavin' Flag avec la version originale, suivie de plusieurs Celebration Mixes locaux



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