dimanche 9 janvier 2011

Quand les stats se font hype

Il y a un mois, la BBC4 diffusait The Joy of Stats, un documentaire d'une heure sur le pouvoir des statistiques. Loin d'être aussi barbant que son sujet ne le laisse supposer, The Joy of Stats bénéficiait d'un rythme soutenu, d'un ton enlevé et d'une mise en scène suffisamment originale pour captiver dès les premières minutes. Mais ce qui faisait tout le charme de ce petit reportage, c'était son présentateur, le médecin et statisticien suédois Hans Rosling. Rosling fait partie de ces experts au charisme incroyable qui enchaînent les conférences type TED pour partager leur passion —en l'occurrence, les statistiques, et plus particulièrement celles sur la santé publique. C'est également la seule personne capable de commenter l'évolution dans le temps de la mortalité infantile comme on commente un 100m ou les dernières minutes d'une finale de Champions League! 
On ressort de The Joy of Stats presque euphorique, la tête pleine d'anecdotes et le cœur certain que les "data" peuvent sauver le monde. Mais à mon avis, ce reportage n'est qu'une illustration d'une tendance plus forte, celle de l'engouement général pour les statistiques.

Avez-vous remarqué combien les stats sont devenues hype depuis quelques temps? Pas un seul jour sans que l'on ne tombe sur un magnifique infographic présentant le nombre de tweets/seconde des internautes selon leur nationalité, la teneur calorique moyenne des repas en fonction de la CSP ou la densité de chats au km2 selon les continents! Au-delà, les visualisations de données type camemberts, diagrammes de Venn ou flow-charts pullulent à l'ère du 2.0, et les détournements humoristiques ne manquent pas. Plus que des outils de réflexion réservés aux scientifiques, aux économistes et aux marketeurs, les stats -au sens large du terme- font désormais partie de la culture populaire.

Pourquoi cette fascination? J'y vois plusieurs facteurs :
- Tout d'abord, la culture nerd/geek est progressivement devenue mainstream, et avec elle certains de ses attributs : passion pour les jeux vidéos et les nouvelles technologies, humour obscur... et attrait pour les graphiques. Cette démocratisation est passée par un lissage esthétique, et aujourd'hui certains graph confinent à l'œuvre d'art (voir ici et ici, ainsi que ce célèbre clip) ;
Cliquez pour tester ce magnifique graphique interactif 
sur les phénomènes de psychose collective, signé David McCandless

- Par ailleurs, les médias électroniques ont développé chez les gens un insatiable besoin d'informations, ce que l'institut Trendwatching appelait il y a quelques temps "Infolust". Une tendance qui se traduit notamment par la montée du Push (ce système qui permet de recevoir les mails, tweets, notifications et autres dépêches "urgentes" ATAWAD, histoire d'être toujours "au fait"), une exigence de transparence accrue sur Internet et un intérêt maladif pour les statistiques, qu'elles soient importantes ou futiles ;

- Enfin, et c'est un facteur plus structurel que conjoncturel, je pense que les statistiques sont pour l'Homme une manière comme une autre de contrôler son environnement —ou, du moins, d'en avoir l'impression. En récoltant des données et en les "faisant parler", on peut dépasser la sphère du visible et des simples épiphénomènes pour découvrir les grands mécanismes naturels ou sociaux et saisir "the big picture". Dans The Joy of Stats, Hans Rosling évoque l'héritage de Florence Nightingale, une britannique pionnière des statistiques. Nightingale voyait dans l'analyse des données le moyen de "comprendre le dessein de Dieu", ça veut tout dire...
Cependant, en déchiffrant les plans de Dieu, l'Homme ne devient-il pas dieu lui-même? Ainsi, cet amour des statistiques est quelque part le signe que l'Homme cherche toujours à repousser les limites de l'entendement pour mieux maîtriser son monde.

Chances d'avoir lâché la lecture de 
cet article en fonction du paragraphe
Reste qu'en regardant le documentaire de la BBC4, je ne pouvais m'empêcher de penser aux risques que portent en elles les statistiques.
La critique la plus récurrente, celle de la déshumanisation, rappelle quelque part les thèses de l'Ecole de Francfort, dont les membres auraient sans doute vu dans l'engouement moderne pour les stats un signe supplémentaire du glissement de la civilisation dans le rationalisme décharné... De même, les problèmes de détournement et de mésinterprétation des stats ne peuvent être ignorés. Une citation célèbre, attribuée à l'homme d'Etat britannique Benjamin Disraeli, voudrait qu'il y ait trois sortes de mensonges : du plus bénin au plus grave, "les mensonges, les parjures et les statistiques" ! Enfin, les statistiques peuvent parfois être utilisées à des fins innommables (pas besoin de vous faire un dessin).

Quoi qu'il en soit, l'enthousiasme général pour les statistiques est une excellente chose, puisqu'il pousse les gouvernants et le grand public à mieux s'en servir pour améliorer le quotidien de tous.

Qu'en pensez-vous?

4 commentaires:

  1. Ton dernier diagramme bâton n'indique pas les chances d'arriver au dernier paragraphe en ayant sauté certains des précédents.

    Je suis hors statistiques. Vais-je mourir ?

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  2. @Charley : Ben cette éventualité n'ayant pas été prise en compte, tu as dépassé les limites du système et es devenu une sorte de surhomme en sautant un simple paragraphe. Pas mal.

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  3. J'irais même plus loin sur le rapport esthétique / chiffres : l'engouement pour les infographies permet clairement des présentations qui sont aussi plus "humaines", accessibles, attrayantes ...

    Les chiffres ne sont donc plus ceux de l'administration à la Brazil, de l'Excel en barre, mais plutôt :
    1. une recherche d'esthétique dans ces représentions chiffrées de la société 2. une manière de mieux comprendre l'information qui effectivement est trop foisonnante pour qu'elle puisse se fixer facilement dans notre esprit

    L'infographie, c'est donc de l'interprétation ET de la mise en scène.


    Concernant le clip de Röyksopp, il me semble surtout qu'il s'agit non pas de chiffres, mais de l'univers des jeux vidéos, de la cartographie... C'est quand même différent des statistiques -même si, effectivement, il s'agit d'un regard sur une forme d'interprétation d'univers (réels, imaginaires, virtuels ...)

    Un autre exemple d'ailleurs, exactement sur le même modèle :
    http://www.youtube.com/watch?v=Y54ABqSOScQ

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  4. @Nicolas : Merci pour le commentaire! Effectivement, l'infographie est là pour habiller les data et les rendre plus humaines... avec les risques de détournement qu'on connaît!
    Et merci pour le clip, c'est vrai que le côté isométrique rappelle les jeux vidéos, même si j'ai toujours associé ce genre aux infographics.

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