samedi 26 février 2011

Déclinologies

THE END IS NEAR HERE IS NEAR THE END, œuvre de Jason de Haan et Scott Rogers 
exposée lors de la Nuit Blanche 2009. Photographie par HermiC (via Flickr)

Il existe une vraie fascination pour le déclin, la décadence, la décrépitude —et pas seulement en France. Les journalistes, les chercheurs, les blogueurs (je suis sûr de l'avoir fait moi-même), etc. aiment à décréter la mort d'institutions que l'on pensait jusque là insubmersibles. L'effet d'annonce fait toujours sont petit effet. C'est vrai qu'il est plus facile d'écrire LE WEB EST MORT plutôt que "le Web en tant que mode de navigation et d'utilisation des services sur Internet est concurrencé par les applications voire l'Internet des objets"... Si vous voulez faire un test, tapez "la mort du/de + une grande valeur ou une institution" dans Google, c'est assez marrant.
Ce billet n'a pas pour but de vilipender les déclinologues (dont nous faisons, quelque part, tous partie), mais de regarder de l'autre côté du déclin. C'est qu'après avoir passé sept ou huit ans à apprendre et répéter consciencieusement les thèses de Joseph "Schumpy" Schumpeter, j'ai tendance à ne pas m'arrêter au simple constat. Et avec l'explosion du digital (Internet compris), ce ne sont pas les constats qui manquent! Petit panorama et tentative de décryptage.

La mort de l'e-mail
Début février, l'institut ComScore révélait des chiffres pour le moins spectaculaires concernant l'utilisation de l'e-mail aux Etats-Unis. Le courrier électronique serait globalement en recul, en particulier chez les adolescents (il affiche, chez les 12-17 ans, une incroyable chute de 59% en un an). La "faute" à une nouvelle génération qui ne s'encombre plus d'écrire et mettre en forme de longs textes, mais préfère les textos, les messageries instantanées ou les réseaux sociaux, plus instantanés et informels. Une tendance dans laquelle s'inscrit parfaitement (et comme toujours, j'ai envie de dire) Facebook, qui met actuellement en place son nouveau système de messages, réunissant sous une même interface ces nouvelles façons plus simples, plus "digital naïve", de communiquer.
Au-delà des ados, des entreprises comme Atos Origin commencent déjà à abandonner le format mail, en arguant -à juste titre- qu'il fait perdre du temps à leurs collaborateurs.
Le courriel est-il à l'agonie? Au sens étymologique du terme (qui renvoie à l'idée de "combat"), oui! L'e-mail se défend et se réinvente, parfois même en empruntant aux modes de communication concurrents. L'exemple de Gmail, qui est constamment en train d'implémenter de nouvelles fonctions (avec plus ou moins de bonheur) est significatif. De plus, le rôle du mail, devenu de facto un moyen de communiquer "solennel", pourrait être amené à évoluer et devenir un équivalent du courrier papier aujourd'hui, à savoir une alternative moins pratique mais qui, du coup, donne une valeur symbolique au message dont elle est le support. Signe des temps, La Poste recommence à faire la promo de son très sérieux service d'e-mail recommandé, qui ne date pourtant pas d'hier...


La déchéance des blogs
Il y a quelques temps, le Pew Research Center publiait un rapport sur les pratiques online, qui indiquant une chute de popularité des blogs chez les jeunes internautes américains. Il n'en fallait pas moins aux commentateurs pour déclarer la blogosphère morte.
Bon.
Je sais même pas pourquoi je consacre encore du temps à ce sujet ultra-galvaudé. Cela fait des années que l'on débat de la mort des blogs (cf. ici ou ici), et sous tous les angles!
Loin d'être en voie d'extinction,  le format "blog" est en pleine mutation. La scission entre les blogs ego-centrés (autrement dit, kikoolol), qui étaient l'apanage des plus jeunes et sont logiquement remplacés par les réseaux sociaux à forte valeur narcissique ajoutée, et les blogs dédiés à des sujets autres que l'exploration du moi, est consommée. Au-delà, le New York Times souligne avec justesse que ce déclin intervient alors que certains blogs historiques sont devenus de véritables empires (cf. Mashable ou le Huffington Post, récemment acquis par AOL) faisant jeu égal avec les médias traditionnels. De même, de nouveaux types de blogs toujours plus intuitifs comme Tumblr et Pinterest se développent et contribuent à effacer la frontière entre blogging et curating.
Enfin, et c'est peut-être le plus intéressant, ce déclin des blogs est à interpréter comme le signe d'une transformation qualitative. A mesure que les blogueurs kikoolol ou les moins passionnés se désengagent et migrent vers Twitter/Facebook (où ils peuvent se la raconter sans trop faire d'efforts), la blogosphère redevient un espace de partage de découvertes et d'idées. En parallèle à ce phénomène d'écrémage, qui profite aux plateformes de blogging les plus "pros" comme Wordpress, on observe un autre signe d'une montée en qualité des blogs : la longueur des billets et la profondeur des analyses. Comme le soulignait le journaliste Clive Thompson dans Wired il y a quelques semaines, la montée des réseaux sociaux a modifié le rôle des blogs. Si auparavant, les billets étaient courts et très fréquents, ils sont devenus, par le jeu d'une sorte de "division du travail" avec Twitter, plus espacés mais plus documentés, plus constructifs... En un mot : plus qualitatifs!


La fin de l'album
Lundi 21, j'ai eu la chance d'assister à la première conférence Music Net.Works, organisée entre-autres par Owni Music et Silicon Sentier. J'ai appris pas mal de choses mais je suis resté sur ma faim sur un point : celui des nouveaux usages de la musique, tant en termes de création que de consommation. Car au-delà d'un business model qui se cherche encore, je m'intéressais aux effets des nouveaux formats numériques (MP3, vidéo, streaming) sur la manière dont on produit la musique. On observe depuis quelques temps une grande disparité entre les ventes numériques d'albums et de morceaux ; serait-ce, comme l'affirme Ars Technica, la mort de l'album?
Sans verser dans le déterminisme technologique le plus simpliste, force est de constater que le "morceau" est en passe de redevenir, à l'ère iTunes/Youtube/Spotify/Soundcloud/Hype Machine/etc., l'unité de base de la création musicale. Ou plutôt de le redevenir, puisqu'il ne faut pas oublier qu'avant de s'affirmer comme un objet artistique à part entière dans les années 60-70, l'album était souvent une collection de singles sortis au préalable (je pense notamment aux productions de Phil Spector comme les Crystals ou les Ronettes). Le "morceau" ou "single" semble être le format le plus adapté à l'ère numérique, celle du rapidement consommé, du partage et du remix. Et le format le plus monétisable, aussi (téléchargement, streaming, vidéo, licencing)...
Cependant, comme avec l'e-mail, l'album n'est pas près de disparaître pour autant. Au contraire, les artistes qui estimeront le format long (LP) comme seul capable de traduire leur vision artistique renforceront son statut "d'objet d'art". En témoigne déjà le travail de Radiohead, dont le King of Limbs est vendu comme une œuvre complète qui va bien au-delà d'une simple compilation de chansons.


Bonus : la disparition des marginalia
Les marginalia, ce sont les notes griffonnées dans les pages des livres. Le New York Times (décidément très déclinolophile) s'inquiète de leur disparition à l'heure du livre numérique. Je mets cet article uniquement pour son côté poétique... Je pense qu'il s'agit d'un faux enjeux car 1) les marginalia constituent un phénomène... marginal (lol) 2) le livre numérique a encore du chemin à faire.



Et vous, c'est quoi votre "déclin favori"?

1 commentaire:

  1. Moi c'est le déclin des jeunes qui deviennent de plus en plus bêtes, ne pensent qu'à niquer et boire de l'alcool. Oui, c'était surement mieux avant, pas vrai?

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