mercredi 2 février 2011

Wikileaks a-t-il gagné ou perdu?

Wikileaks, FTW ou WTF?
Difficile d’entamer un article sur Wikileaks tant il semble que tout a été dit sur le sujet! J’ai moi-même écrit un article en faisant une analyse croisée avec 4chan, en août dernier. Il faut dire que le site web, dont on oublie qu’il existe depuis 2006, a su en quelques mois marquer son époque.

Si cette entreprise a rencontré un tel écho politique et culturel, c’est qu’au-delà de son aspect radical et spectaculaire, elle concentre la plupart des attributs de la post-modernité : transparence, obsession de la mise en scène et surtout défiance généralisée envers tous les pouvoirs.

Cette défiance concernait notamment les médias traditionnels, pointés du doigt par Julian Assange pour leur complaisance et leur pusillanimité. Si Wikileaks est né, c’est précisément parce que la presse ne ferait pas son travail de recherche et de publicité (au sens premier), voire se rendrait complice du pouvoir en place en passant sous silence certains de ses errements.  Cette critique virulente n’a pourtant pas empêché Wikileaks de s’associer avec cinq grands quotidiens mondiaux (Le Monde, The Guardian, The New York Times, Der Spiegel et El Pais) pour diffuser et commenter en quasi continu les échanges internes de la diplomatie américaine en novembre dernier. Une décision alors très critiquée et qui, a posteriori, pourrait apparaître comme une erreur.

Avec le "Cablegate", on a vu se mettre en place un phénomène de convergence très bien décrit par ce récent article du New Yorker. D’un côté, Wikileaks use de plus en plus de méthodes journalistiques pour diffuser ses informations, en collaborant étroitement avec certains titres de presse et en diffusant au compte-goutte les révélations. De l’autre, et c'est le plus important, les médias traditionnels se sont emparés du modèle Wikileaks et l’ont modelé à leur convenance. Car ce qui devait arrivé est bel et bien arrivé : les grandes marques de presse commencent à se doter de leur propres systèmes de «leaks», permettant à n’importe qui de leur envoyer numériquement et en tout anonymat des documents sensibles. Al Jazeera a été la première à se lancer, avec la création début janvier de sa "Transparency Unit", et le New York Times réfléchirait également à un service similaire. Et il y a fort à parier que de très nombreux autres acteurs (y compris Le Monde) lui emboîtent le pas... D'autant plus que le fait qu'un titre aussi respecté et conventionnel franchisse le Rubicon aurait pour effet de désinhiber tout le secteur!

Ce double-mouvement de convergence pose une question : quatre ans après sa création et plus de sept mois après son explosion médiatique, Wikileaks a-t-il gagné ou perdu?

Le meme sur Twitter, consécration 
pop culture
Quelque part, Julian Assange et ses potes ont gagné. Car s'ils attaquaient les médias traditionnels, c'était pour les exhorter à se mobiliser, ce qui est chose faite. Le nom de Wikileaks est entré dans la culture populaire. Ses valeurs, telles que l'activisme et la transparence ont su trouver un certain écho, ne serait-ce que parce qu'elles ont été amplement débattues. Son modèle, enfin, est récupéré par la presse et tend ainsi à devenir mainstream, voire naturel. Ce qui était au départ un coup de semonce envers les médias traditionnels s'est transformé en coup de fouet, et le journalisme d'investigation -avec tout ce qu'il implique de prises de risques- semble renaître avec le concept de Wikileaks.

Cependant, on peut aussi voir dans ce phénomène la défaite de Wikileaks. En étant singé par les médias qu'il critiquait, le site perd en effet tout caractère exceptionnel. Si plusieurs spinoffs avaient déjà vu le jour, il s'agissait surtout de rendre hommage et soutenir leur modèle. En revanche, lorsque Al Jazeera ou le New York Times créent leurs propres structures de leaks c'est plutôt pour court-circuiter une organisation qui n'a pas vraiment bonne presse (jeu de mots gratuit du jour) et dont le chef est réputé peu accommodant.
Wikileaks pourrait même souffrir d'une double peine : d'un côté, il redeviendrait un site ordinaire, vaguement subversif mais sans poids politique. De l'autre, il continuerait à être la cible, par inertie, de critiques violentes en provenance des gouvernements et d'une partie de l'opinion publique. La plus grosse ironie restant, comme le souligne le philosophe Slavoj Zizek dans une tribune reprise par Owni, que Wikileaks n'est jamais tout à fait sorti du système politique libéral-démocratique dont il dévoilait les failles, ce qui fait que son modèle n'en a été que plus facile à absorber par "l'idéologie dominante" (c'est-à-dire, aux yeux d'Assange, les médias versant dans le consensus mou, garants de l'immobilisme politique)...

Après les blogs, qui ont bousculé (je dis bien bousculé, hein) la légitimité du journalisme professionnel, et les réseaux sociaux qui l'ont poussé à être toujours plus réactif et ne plus rien omettre, Wikileaks semble avoir marqué une troisième crise d'identité de la presse en l'espace d'une dizaine d'années. Si ce n'est que cette fois-ci, les média traditionnels a su réagir de manière rapide et radicale. Au moins, sur ce point, tout le monde a gagné.

Qu'en pensez-vous?

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