La Braun FS-80, chef d'oeuvre du design industriel signé Dieter Rams (1964) (image amateur) |
Je viens de finir Penser la société de l'écran, un bouquin récemment publié par le professeur Divina Frau-Meigs aux Presses de la Sorbonne Nouvelle. Si ce petit ouvrage paraîtra aussi aride qu'un annuaire coréen à quiconque ne prépare pas de thèse en infocom (dont moi), il offre un bel éclairage sur un objet anodin mais appelé à prendre toujours plus d'importance dans nos vies.
Si on y réfléchit, les "écrans" sont partout : dans nos salons, dans nos poches, dans nos rues et bien sûr dans nos bureaux. Une invasion devenue palpable l'année dernière avec l'arrivée de l'iPad, qui a conduit certains à se poser la question de l'utilité d'"un écran de plus". Mais parce qu'il réunit divertissement, sociabilité et productivité, l'écran apparaît comme le dénominateur commun de la plupart des innovations technologiques —si ce n'est leur unité de base.
Cette omniprésence s'est construite sur le long terme. Selon Frau-Meigs, elle est imputable à la capacité de l'écran à absorber les codes de technologies préexistantes et déjà acceptées afin de s'intégrer sans heurts dans le quotidien. Quelques exemples : pour des raisons techniques liées à la fabrication des tubes cathodiques en verre, l'écran de télévision aurait pu être rond ou oval ; mais c'est finalement un format rectangulaire qui a été choisi, pour faire écho au cinéma et à la peinture, ainsi que par souci de reproduction du réel. De même, la télévision était au départ considérée comme un simple complément "visuel" à la radio, à laquelle on devait la raccorder pour avoir du son. Plus tard, l'écran d'ordinateur a d'abord pris la forme de celui d'une télévision, avant de singer dans son interface l'apparence d'un bureau traditionnel, avec ses feuilles, ses dossiers et sa corbeille... Et aujourd'hui encore, les tablettes et e-readers tentent de reproduire l'expérience de lecture sur papier, en en recréant l'aspect (encre électronique) ou certains usages (pages que l'on tourne, annotations)!
Bien qu'il se soit désormais fondu dans le paysage, l'écran n'en demeure pas moins une invention révolutionnaire, ne serait-ce que symboliquement. Parce qu'il fait la part belle au visuel, il remet l'image au centre d'une société jusque là dominée par l'écrit. Longtemps associée à l'idolâtrie (et donc fermement condamnée par les religions monothésites), l'image devient alors dominante. Un changement de paradigme qui me rappelle le passage de la "graphosphère" (ère de l'imprimerie, où l'écrit prime sur l'oral) à la "vidéosphère" (où l'image prend le pas sur l'écrit) chez Debray.
Image du film Blade Runner (1982) extraite du Tumblr Access Main Computer File, qui répertorie les apparitions souvent ridicules d'ordinateurs dans les films (vous savez, quand le héros dit "ordinateur, stoppe la vidéo, fait un zoom sur le visage du suspect, lance la reconnaissance faciale" —je sais pas vous, mais ça m'a toujours bien fait marrer) |
La première est simple, puisqu'il s'agit de l'explosion des technologies reposant sur son utilisation : smartphones, tablettes, TV connectées, TV 3D, consoles portables, mais également automobile ou électroménager, toutes interconnectées et formant de vastes écosystèmes transmédias.
La seconde raison, peut-être moins évidente mais à mon sens plus profonde, est le renforcement du rôle des écrans au sein des interfaces homme/machine. Une interface homme/machine, c'est le dispositif permettant à un homme et à un ordinateur d'interagir (par exemple, rentrer du texte d'un côté, afficher ce texte mis en forme de l'autre). Le monde numérique est déjà dominé ce que l'on appelle les GUI ("Graphic User Interfaces"), où l'écran est la clé d'entrée de la machine pour l'utilisateur. Cependant, il faut encore souvent y adjoindre d'autres périphériques pour compléter l'interface (clavier, souris, télécommande, manette, etc.). Cela pourrait changer avec la montée d'une nouvelle génération d'interfaces : les NUI ("Natural User Interfaces"), qui suppriment les périphériques "artificiels" et rendent plus intuitive l'utilisation de machines, comme les écrans tactiles ou Kinect. Dans son dernier report, l'agence interactive Razorfish considère ce passage progressif à des interfaces "naturelles" comme une révolution. Une révolution qui consacrerait l'écran comme la seule et dernière séparation entre l'homme et la machine. En attendant la fusion?
Qu'en pensez-vous?
Ne crois tu pas que l'on pourrait imaginer dans un avenir proche au contraire une abolition de l'écran amenant ainsi une dématérialisation à l'extrême par l'utilisation pourquoi pas d'une miniaturisation du système de video-projecteur.
RépondreSupprimerTout pourrait alors se projeter partout (sur une main, un mur,...) sans plus avoir besoin de l'écran.
L'interaction pourrait alors se faire par une reconnaissance de capteurs liés au corps (at least aux doigts).
Science-fiction? Sens de l'Histoire? L'écran serait alors partout et nulle part à la fois.
A priori c'est bien le sens de l'histoire, si l'on s'en tient à l'émergence des NUI! En fait on peut imaginer une abolition de l'écran en tant qu'objet fixe sans que l'écran en tant qu'interface entre l'homme et les machines ne disparaisse (du moins à moyen terme)...
RépondreSupprimerEt Pierre d'illustrer :
RépondreSupprimerhttp://www.dailymotion.com/video/xd9brr_pub-boursorama-banque-2010_music