dimanche 3 avril 2011

Richard Prince à la BNF : Portrait de l'artiste en collectionneur

Couverture de 3 filles de V. de Plessis, Paris, 1972
Fonds de la BNF
Sur-couverture de Richard Prince, 2010
Courtesy Gagosian Gallery

Un billet pour vous parler d'art contemporain (ça faisait longtemps). La bilbliothèque François Mitterand accueille jusqu’au 26 juin American Prayer, une exposition inédite de l'artiste américain Richard Prince.

Pour faire court, Richard Prince est un des hérauts de l’appropriation art, une posture artistique consistant à récupérer le travail d’autrui pour en faire soi-même des oeuvres. Je vous fait grâce de l’adage wildien repris par Picasso comme quoi les losers imitent tandis que les winners volent, mais vous voyez l'idée... Quoi qu'il en soit, l’appropriation est sans conteste la clé de lecture de la moitié de l’histoire de l’art contemporain, de Duchamp et Banksy, en passant par Warhol, Vezzoli ou Koons...

Pour revenir à Prince, l’homme s’intéresse avant tout à la culture populaire, à commencer par la publicité, avec sa série de "rephotographies", des tirages agrandis de réclames Marlboro qu’il piquait lorsqu’il travaillait au service pub du groupe Time, dans les années 70. On lui doit également des peintures de blagues (de simples histoires drôles reproduites sur de grandes toiles) ainsi que des tableaux réunissant une foule d'objets très "low culture" tels que des photos promotionnelles, des collages ou des disques.

Il s’agit là d’un premier aspect remarquable du travail de Richard Prince : l’artiste fait dans l’accumulation. Il se double d’un collectionneur obsédé par ce qu’il appelle la beathippiepunk culture, c’est-à-dire les contre- et sous-cultures des années 50 au milieu des années 80. Une grande partie de l’exposition est ainsi constituée de vitrines renfermant de véritables reliques de cette période, comme des documents signés par d’illustres figures (Nabokov, Kerouac, H.S.Thompson, Pynchon, Leary etc.), mais également des romans pornos ou d’obscurs comic books. Des vitrines qui apparaissent comme autant d’autels érigés en l’honneur de mouvements qui n’ont rien perdu de leur caractère iconoclaste, et autant d’assemblages de grande et petite littératures, de beaux mots et d’images viles —pour citer la journaliste d’art Judith Benhamou-Huet, "de grandes phrases et de gros seins".

Lettre du Mint Hotel adressée
à Hunter S.Thompson.
Casdédi à tous les
fans de Las Vegas Parano...
Comme tout le reste de l’exposition, ces vitrines doivent être abordées comme des oeuvres en elles-mêmes, nées de la simple agglomération d’objets, et donc leur légitimation, par l'artiste. Il s'agit quelque part du second aspect, et le plus important, du travail de Prince : le fétichisme (au sens de pouvoir divin attribué à une chose) de la signature.

En 2005, Prince déclarait dans un entretien au New York Magazine qu'il ne voyait "plus aucune différence entre ce qu'[il] collectionn[ait] et ce qu'il fai[sai]t". Un aveu lourd de sens, car si l'américain est considéré comme le pape de l'appropriation, c'est parce qu'il pousse plus loin que n'importe qui le principe du ready-made duchampien en se contentant de rassembler les créations des autres avant de leur apposer sa signature, ce qui les transforme en Art (et en or). La plupart des œuvres exposées à la BNF ont ainsi subi très peu de transformations, si ce n'est aucune. Le coeur de l’installation est, par exemple, constitué de simples romans de gare encadrés avec les gouaches originales illustrant leurs couvertures. Ces "tableaux" portent presque tous le titre de Untitled (Original) sauf quelques uns qui, parce qu'ils ont été légèrement retouchés par l'artiste, se nomment Almost Original... Ici, et plus que jamais, c'est le seing de l'artiste qui fait l'oeuvre. On retrouve ce fétichisme de la signature dans les nombreux manuscrits d'écrivains et autographes de starlettes comme Pamela Anderson ou Cameron Diaz disséminés dans l'expo. Certaines de ces signatures se révèlent d'ailleurs être fausses, puisque imitées par Prince lui-même, ce qui ne leur enlève pas de leur valeur mais les rend plus précieuses encore. Post-modernité, quand tu nous tiens...

Evidemment, qui dit appropriation dit problèmes de droit d'auteur. Comme d'autres golden boys de l'art contemporain, Prince fait régulièrement l'objet de poursuites. Hasard du calendrier, l'artiste vient tout juste de perdre un procès contre le photographe français Patrick Cariou, dont il avait utilisé certaines images sans permission en 2008.

Reste que l'aspect parfois inique de l'appropriation ne doit pas masquer une réflexion profonde sur les frontières de l'art, une grande culture et un important travail de documentation. Richard Prince est autant un archéologue et un commissaire d'exposition qu'un artiste. A l'heure de la disparition des frontières entre high culture et pop culture, de la génération copier/coller et de la montée de la curation sur le Net, son œuvre n'en est que plus fascinante.

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