samedi 21 mai 2011

Le livre électronique et le nouvel âge d'or du journalisme de fond

Il y a quelques jours a paru aux Etats-unis Into the Forbidden Zone de William T. Vollmann (auteur du très remarqué Central Europe). Cet ouvrage, qui traite des effets de la catastrophe de Fukushima sur les japonais, a pour particularités d'être très court (une soixantaine de pages) et surtout de n'être disponible qu'en format électronique. Il ne s’agit en outre que du deuxième livre édité par une jeune start-up du nom de Byliner, qui s’est donné pour mission de diffuser des e-books de taille limitée (jusqu’à 35.000 mots), signés par de grandes plumes et vendus au prix unique de 2,99$. 



Le premier livre publié par Byliner était le désormais célèbre Three Cups of Deceit (sorti en avril), une brillante enquête à charge contre un philanthrope se révélant être un escroc, signée Jon Krakauer (auteur de Into the Wild). Porté par le scandale, le bouquin s’est écoulé à plus de 70.000 exemplaires en quelques jours. Le reportage de Vollmann, qui s’est aventuré au plus près de la centrale de Fukushima afin d’aller à la rencontre des ses riverains, n'est pas en reste et connaît un succès honnête malgré son sujet pas forcément très glam.
Le phénomène d'édition Byliner illustre plusieurs tendances.

Tout d'abord, les usages de lecture électronique continuent de s'ancrer. Si l'offre reste encore éclatée, lire un livre au seul format numérique tend à devenir commun. La maison d'édition Simon & Schuster estime que les e-books représentent d'ores et déjà 17% de son chiffre d'affaires à l'échelle mondiale, et Amazon vient juste d'annoncer que ses ventes numériques dépassent désormais ses ventes physiques, y compris les livres de poche. Certes, la France est encore à la traîne et le papier a encore de beaux jours devant lui. Cependant, la cohabitation (j'ai bien dit : cohabitation) semble inévitable à terme, d'autant que les pouvoirs publics commencent à se saisir pleinement des enjeux de ces nouveaux formats.

Au-delà, le succès de Byliner témoigne de la vitalité de la nonfiction anglo-saxonne —un thème que j'avais déjà abordé ici même il y a quelques mois. Tout d'abord, parce que les auteurs américains et britanniques possèdent traditionnellement une vraie capacité à aborder les problèmes sociétaux de manière plaisante et originale (cf. les Sinclair, les Hunter S. Thompson, les Wolfe, les Mailer, etc.). D'autre part, parce que le digital leur offre un canal de plus pour explorer de nouveaux territoires littéraires et diffuser leur travail. Si la nonfiction reste avant tout publiée sous forme de livres ou de feuilletons dans de prestigieux magazines, le numérique pourrait l'affranchir de plusieurs barrières : coûts de fabrication, taille (les papiers ne pouvaient être ni trop longs, ni trop courts), délais (difficultés à coller à l'actualité) ou encore distribution (forcément limitée dans le temps et l'espace).

A ce titre, le lancement en novembre dernier des Kindle Singles, une gamme d’ebooks courts vendus à bas prix par Amazon (dans laquelle on retrouve les ouvrages édités par Byliner)apparaît comme le symbole d'une réinvention aussi bien créative qu'économique. Car si certains auront vite fait d’analyser le succès de ces micro-livres comme l'avènement d’une "littérature fast food", contrainte de faire toujours plus court et toujours moins cher, on peut aussi y voir un réel intérêt du grand public pour les articles de fond et autres textes exigeants. Des textes pour lesquels les gens sont même prêts à payer!

Face au paradigme d'une information délivrée en temps réel, par bribes et sans plus d'analyse, on assiste en effet depuis quelques mois à un retour des formats longs. Les exemples ne manquent pas. Du site Longreads, qui sélectionne (pardon, qui fait du curating ;) ) les meilleurs articles longs du web à l'application Instapaper qui permet de stocker les papiers que l'on souhaite lire ultérieurement, en passant par l'émergence de publications qui entendent se donner "le temps de la réflexion", comme le magazine Clés de J-L.Servan-Schreiber ou les revues XXI ou Uzbek & Rica, le journalisme de fond semble renaître —y compris en France. Et le numérique, s'il est correctement utilisé, pourrait bien l'y aider.

Qu'en pensez-vous?

PS : pour aller plus loin.


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