lundi 19 avril 2021

Pourquoi les acteurs de la Beauté doivent se préparer à la montée de l’EthicTech

Diana Polekhina/Unsplash
Peu de secteurs sont désormais exempts de l’exigence de transparence des consommateurs et des citoyens. Ce phénomène est né de l’effet réciproque d’une défiance croissante vis-à-vis des grandes entreprises et d’une circulation plus rapide de l’information.

On ne saurait néanmoins parler de "transparence radicale" pour deux raisons. La première, c’est que pour garantir la transparence, il faut d’abord savoir ce que l’on cherche lorsque l’on achète quelque chose : s’intéresse-t-on en priorité aux conditions de travail, aux matières premières utilisées, aux processus de fabrication, aux modes de distribution, au partage de la valeur ? Les indicateurs seront différents et revêtiront une importance variable d’un individu à l’autre. La seconde, c’est qu’une fois arrêtés l’ordre de priorité et les indicateurs qui y sont associés, les sources de données demeurent souvent opaques ou incomplètes.

Néanmoins, cela pourrait changer avec l’accélération de ce que j’appelle l’EthicTech.

L’EthicTech désigne l’ensemble des technologies BtC d’aide à la décision afin de consommer en accord avec certains principes comme la préservation de l’environnement, l’utilisation d’ingrédients sains ou la garantie de bonnes conditions de travail.

Ces technologies sont généralement mobile-first et affichent leur objectivité en s’appuyant sur des bases de données publiques. Pour l’instant, leur clé d’entrée est souvent mono-critère, c’est-à-dire qu’elles n’analysent les produits qu’à travers une seule grille (ingrédients, bilan carbone, supply chain…), par souci de synthèse. Cependant, on peut s’attendre à l’émergence de services de notations multi-critères à l’avenir.

Le meilleur exemple d’EthicTech aujourd’hui, c’est bien sûr Yuka. En moins de 5 ans, cette application a conquis 20 millions d’utilisateurs et bousculé les chaînes de production des industriels agro-alimentaires français. Avec une interface simplifiée, une emphase claire sur un aspect de l’offre (ici, l’effet des ingrédients sur la santé), une base de données transparente et une posture incorruptible, Yuka a accéléré ce que les associations de défense des consommateurs, les nutritionnistes et les pouvoirs publics faisaient depuis des années.

La Beauté déjà très scrutée

Yuka n’est pas seule. L’industrie de la Beauté est particulièrement scrutée par l’EthicTech. Plusieurs applications et services aspirent aujourd’hui à séparer le bon grain de l’ivraie dans le domaine des cosmétiques : CosmEthics, INCI Beauty, Clean Beauty, Think Dirty, Mireille… Ces applis se concentrent sur un critère commun de notation : la "propreté" des produits.

Il faut dire qu’en matière de beauté "clean", pour la préservation de sa santé et de l’environnement, il y a une demande à satisfaire : 1 consommateur sur 2 (49,7%) dit préférer des produits de beauté plus naturels — un chiffre qui montre à 71,1% pour les individus les plus dépensiers de la catégorie (dentsu M1, 2020-2021).

Reste que dans le domaine de la Beauté, l’EthicTech est loin d’être stabilisée. Tout d’abord, la donnée demeure unidimensionnelle : toutes les applications sont construites sur la base de l’INCI (International Nomenclature of Cosmetic Ingredients), qui a l’avantage d’être un standard international obligatoire mais n’oblige pas à signaler les proportions des ingrédients. Au dessus de 1% de présence, les ingrédients doivent simplement être classés par ordre décroissant de concentration ; en dessous de 1%, pas de règle. Par ailleurs, les algorithmes d’analyse des produits sont encore souvent des boîtes noires, avec des résultats qui peuvent différer fortement d’une plate-forme à une autre. Un même mascara sera validé par une appli mais sera mis au ban par une autre. Enfin, l’expérience utilisateur laisse encore souvent à désirer, à cause d’interfaces peu lisibles.

Cela peut expliquer pourquoi aujourd’hui, il n’existe pas de « Yuka » de la beauté - alors même que Yuka elle-même peut scanner les produits cosmétiques ! Le marché semble fragmenté et les usages sont rares.

Reste que le travail de ces applications répond à de véritables attentes et chacune de leurs faiblesses est améliorable. Il faut ainsi s’attendre à une concentration du marché et l’émergence d’un ou deux acteurs de référence qui pourraient, à terme, bousculer les géants du secteur. Pour les groupes cosmétiques il faut donc dès à présent se préparer à l’avènement de l’EthicTech beauté.

Plateformes de découverte et d’affiliation

Il s’agit avant tout de ne pas se retrouver pris par surprise une fois la technologie devenue mainstream ; d’autant qu’être absent ou mal représenté sur ces plateformes pourrait renforcer la défiance vis-à-vis de certaines solutions ou marques : « si le produit n’est pas sur l’appli, c’est qu’on nous cache quelque chose ».

Par ailleurs, même pour les acteurs de la beauté présents et bien notés par ces applications, l’expérience consommateur peut être lissée : les SKU (références produits) ne sont pas toujours bien renseignées, les photos sont mal cadrées, les gammes de produits n’apparaissent pas clairement…

Vous me direz : « en même temps, pourquoi chercher à améliorer l’expérience de marque ; on n’est pas sur un site e-commerce... » Et je répondrais : en réalité, c’est déjà presque le cas! La plupart de ces applications renvoie à des sites marchands pour se procurer le produit scanné ou des alternatives plus clean. Ce faisant, elles sont à la fois des plateformes de découverte et d’affiliation, et s’intègrent nécessairement dans une stratégie marketing/com.

Si une appli EthicTech venait à s’établir comme un Yuka de la beauté, c’est-à-dire une plateforme de référence dont l’usage est un réflexe quotidien, elle deviendrait par la même occasion un formidable moteur d’émergence et recrutement pour les marques.

Pour les groupes cosmétiques, la montée de ces plateformes présente autant de risques que d’opportunités à anticiper.

Les risques d’abord. Si certains hero products s’avéraient mal notés, il faudrait à court terme redoubler de pédagogie pour expliquer les choix chimiques opérés et rassurer les consommateurs. A moyen/long terme, les formulations devraient être revues pour passer sous les fourches caudines des algorithmes.

En revanche, les marques disposant de produits déjà clean pourraient en profiter. Les entreprises vertueuses noueraient des partenariats d’affiliation ou de promotion avec ces applis pour s’affirmer comme l'alternative systématique aux produits controversés. Un moyen idéal d’émerger pour des acteurs niche ou pour renforcer son e-commerce pour des marques plus établies.

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Si cette transformation prendra plusieurs années, elle nécessite de surveiller dès aujourd’hui l’évolution du marché EthicTech. Elle implique également un important travail de rétro-ingénierie pour comprendre le modèle de chaque appli et le fonctionnement de leurs algorithmes afin de mieux y adapter son offre. Enfin, elle exige de faire collaborer de très nombreux métiers chez les fabricants : la R&D bien sûr, mais aussi le juridique, la communication ou le e-commerce… Ainsi, l’EthicTech pourrait être un vecteur d’accélération de la clean beauty, mais aussi de la transformation des entreprises elles-mêmes !



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