samedi 13 novembre 2010

Définitivement "peut-être"

Je voudrais revenir sur un article très intéressant paru il y a une dizaine de jours dans le Wall Street Journal. Son auteur, Elizabeth Bernstein (journaliste spécialisée dans l'analyse des relations humaines) s'y inquiète de notre tendance à répondre "peut-être" à toutes les invitations sur Facebook... Vous êtes invités à une super soirée mais vous ne savez pas encore si ce jour-là vous serez dispo? Par précaution, répondez "peut-être". On vous convie à un anniversaire mais vous pensez que d’ici là on vous aura fait une meilleure proposition? Par principe, répondez "peut-être". Vous êtes attendus à une fête à laquelle vous n'avez aucune envie d'assister mais ne souhaitez pas froisser votre hôte? Par politesse, répondez "peut-être". Etc.
Parce qu'il s'agit d'une formule intermédiaire qui évite de s'engager tout en entretenant un vague espoir, le "peut-être" est devenu le meilleur ami des utilisateurs de Facebook qui veulent décliner avec délicatesse. Beaucoup ont d'ailleurs intégré ces nouvelles pratiques et considèrent désormais que sur le réseau social, "peut-être" équivaut à un refus en bonne et due forme —littéralement. Après tout, le Littré lui-même rapporte que l'expression peut signifier "sûrement non"...

Le problème, c'est que le réflexe d'utiliser le "peut-être" online s'est propagé au monde offline, auquel il est nettement moins adapté...  Car si Facebook propose cette confortable option, il n'en est pas de même dans la vraie vie, où l'on doit souvent prendre des décisions plus tranchées et donner un RSVP ferme. Par exemple : ma remise des diplômes est dans une petite semaine, mais mon école la prépare depuis près de deux mois, et pour y assister il fallait impérativement confirmer sa présence avant le 1er novembre. Vous imaginez le bordel que ça serait s'il devait y avoir seulement 20 "attending" et le quadruple en "maybe attending"? Et je ne parle même pas de l'organisation de cérémonies tel qu'un mariage... Car dans le monde réel, "peut-être" reste peut-être et exprime le possible tout autant que l'impossible. Son utilisation à tort et à travers risque ainsi donner lieu à divers quiproquos aux effets plus ou moins graves.

Plus généralement, Facebook nous pousserait-il à répondre toujours plus de "peut-être" et moins de "oui" à tout? À fuir les promesses, à ne jamais se mouiller? À se désengager, aussi bien vis-à-vis de ses amis que politiquement? Une critique qui rappelle celle qu'adressait récemment l'essayiste Malcolm Gladwell aux réseaux sociaux dans leur ensemble.
Pour Gladwell, "la révolution ne passera pas par Twitter" car le web 2.0 ne créerait que des relations distendues, sans réelle pression sociale, ce qui favorise les comportements individualistes de passager clandestin (helloooo Olson ;) ). L'absence de risques -que l'on retrouve dans le "peut-être" de Facebook- conduirait donc à en prendre encore moins. L'internaute ferait moins face à ses responsabilités ou céderait au slacktivism, un engagement de façade sans traduction concrète.

Si la journaliste Maria Popova a su répondre avec brio au papier de Malcom Gladwell et montrer que certaines de ses accusations sont infondées (pour la simple et bonne raison que Gladwell fait une distinction artificielle entre sociabilités online et offline alors qu’elles tendent aujourd’hui à se confondre, ce qui met à mal toute sa thèse), la question de l’omniprésence du "peut-être" et de ses effets néfastes potentiels mérite d’être posée.

Qu’en pensez-vous?

6 commentaires:

  1. Le terme "slacktivism" est assez fantastique je trouve ... ! je ne connaissais pas !
    Cet article fait vraiment réfléchir sur la façon dont facebook peut changer nos comportements et notre mode de vie ... avec un peu de recul, c'est quand même fou !

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  2. Mouais... D'après mon expérience, lorsque l'on a envie de dire oui sur facebook comme dans la vie, on dit oui. Lorsqu'on a une bonne raison (excuse) pour dire non, on dit non. Lorsqu'on éprouve des difficultés à faire des choix, on répond peut être.
    Croire que facebook pourrait changer notre rapport à l'engagement signifierait que l'engagement dépend du caractère ou de l'éducation. Je préfère croire que c'est la situation qui détermine l'engagement...

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  3. Ton article m'a vraiment intéressé. Je me suis donc demandée comment j'utilise facebook, et le "peut-être" en particulier. Je n'irai pas jusqu'à dire que le mode "peut-être" s'étend à la vie non-virtuelle. Je crois par contre que nos sociétés sont très consensuelles. Etre du même avis que tout le monde. Et le peut-être permet d'éviter de prendre un risque, de se positionner. Mais ce que j'écris là est d'une banalité des plus banales...

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  4. @Rebecca : Merci :)
    Tu as tout à fait raison quand tu dis que le "peut-être" est avant tout un signe de non prise de risque! Et au-delà de cet aspect consensuel, je me demande si le "peut-être" de Facebook ne revêt un aspect calculateur ("je dis 'peut-être' et j'aviserai en fonction des gens qui confirment leur venue") que l'on peut facilement retrouver dans le monde réel!

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  5. Particulièrement intéressant. C'est une tendance que j'ai clairement identifié, en ce qui me concerne en tout cas. Je pose une hypothèse si tu le veux bien : ne serait-ce pas notre hyper-sociabilité (300, 400, 500 amis...) qui nous pousse à ne jamais nous engager ? Face aux solicitations venant de nos collègues, de notre famille, de nos anciens amis, de nos nouveaux amis, des membres de notre club de foot et j'en passe, nous n'osons plus nous engager. Facebook nous influencerait donc en cela qu'il nous permet de garder contact avec l'ensemble de notre sphère sociale. Qu'en pensez vous ?

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  6. @Charles : Merci beaucoup!
    Oui tout à fait, c'est peut-être dû à une dilution du lien social à cause des réseaux sociaux : plus d'amis = moins de temps à accorder à chacun = moindre engagement... Ou alors, un nombre toujours croissant d'amis nous conduit à concentrer notre engagement sur quelques "happy few", tandis que tous les autres se récoltent des "maybe" ?

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