dimanche 2 janvier 2011

Nombre de Dunbar et réseaux sociaux : ce qui change, ce qui ne change pas

Le crâne c'est un peu cliché
pour un anthropologue, quand même...
Le concept de «Nombre de Dunbar» m’a toujours fasciné. Il fait partie de ces théories que les anglosaxons appellent des mind benders, en ce sens qu’elles modifient instantanément notre vision du monde et prennent souvent à contre-pied des idées reçues. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, l’idée est simple : nous ne pourrions entretenir de relations durables qu’avec un nombre limité de personnes —environ 150, bien que ce chiffre soit débattu. La faute à une partie de notre cerveau, le néocortex, qui est naturellement bridé!

Pour arriver à ce résultat, l’anthropologue britannique Robin Dunbar (aujourd'hui prof à Oxford) a comparé la taille des groupes constitués par 36 espèces de primates avec celle de leurs néocortex respectifs. Il y a trouvé une forte corrélation, qu’il a ensuite extrapolée aux humains pour trouver le nombre approximatif auquel il allait donner très humblement son nom.

Dunbar ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a ensuite mis en lumière la permanence au fil du temps de micro-structures sociales dont le nombre de membres est proche de 150 : villages du néolithique, armées, entreprises modernes, etc. Au-delà de 150 membres, le lien social se distendrait, d’où une moindre coopération, et la pression sociale serait moins forte, d’où un besoin accru de règles pour éviter l’anarchie.
A notre échelle, le Nombre de Dunbar signifie surtout que l’on peut fréquenter des milliers de personnes, mais qu'on ne peut physiologiquement entretenir plus de 150 relations pérennes.

Le concept date de 1993 et a depuis connu un grand succès, notamment après avoir été popularisé par des essayistes (en particulier Malcolm Gladwell) et des gourous du management.
L’explosion des social media à partir des années 2000 a relancé l’intérêt pour cette théorie (Robin Dunbar a d'ailleurs annoncé travailler sur une étude de Facebook au travers de son propre modèle), dont la problématique est naturellement liée à celle des relations au travers des réseaux sociaux.
Si Facebook permet aujourd’hui de démultiplier ses contacts et réseauter comme un malade, la théorie de Dunbar vient mettre un bémol à cet enthousiasme et rappelle que quel que soit notre nombre de «friends», notre véritable réseau demeure limité à 150 happy few. Récemment, un nouveau réseau social nommé Path appliquait même ce principe au pied de la lettre en limitant les relations à une cinquantaine de contacts triés sur le volet.

Néanmoins, si les réseaux sociaux ne permettent pas de dépasser la barre des 150 "vraies" relations, cela ne veut pas dire pour autant que ces relations ne sont pas différentes de ce qu'elles étaient autrefois!

A mon sens, le changement est double.
D'une part, les réseaux sociaux ont conduit les relations à se densifier. En étant connecté en permanence à nos 150 "vrais" amis (on postule qu'ils sont tous inscrits sur Facebook, bien que ce soit peu probable), on partage plus, et plus souvent. Certes, on n'a pas attendu Mark Zuckerberg pour entretenir des relations très fortes voire fusionnelles avec certains proches. Mais ce lien continu entre amis favorise la construction d'histoires communes et renforce ainsi les liens entre personnes. J'ajoute qu'en dehors des réseaux sociaux, les SMS gratuits et les services de messagerie instantanée tels que MSN Messenger ou BBM contribuent aussi à ce phénomène.

D'autre part, et comme le faisait remarquer Robin Dunbar lui-même dans une tribune publiée il y a deux semaines par le New York Times, nos 150 "vrais" amis ne sont plus exactement les mêmes qu'auparavant. Il y a 100 ans, ces 150 relations revenaient peu ou prou aux habitants du village ou du quartier dans lequel on naissait, vivait et mourrait. Et il y a encore 30 ans, elles correspondaient aux personnes les plus proches spatialement et que l'on fréquentait au quotidien : famille, amis, collègues de bureau... Aujourd'hui, notre "cercle des 150" peut être beaucoup plus éclaté et varié grâce aux réseaux sociaux. Attention : je ne dis pas que Facebook permet de rester BFF avec des gens sans jamais les revoir physiquement, mais simplement que les réseaux sociaux apparaissent comme autant d'outils pour construire, gérer et pérenniser des réseaux de relations bien plus complexes qu'autrefois.

Qu'en pensez-vous?



PS : Hasard du calendrier, une autre étude réalisée par des chercheurs de Harvard vient d’être publiée dans la revue Nature. Pour ses auteurs, le nombre de relations d’une personne serait corrélé à la taille d’une autre partie de son cerveau : les amygdales! L’étude ne dit pas s'il y a causalité directe et, si oui, dans quel sens : est-ce parce que je suis très sociable que j’ai de grosses amygdales? Ou parce que j’ai de grosses amygdales que j’ai beaucoup d’amis (vous noterez combien cette phrase est franchement WTF sortie de son contexte)? Ces résultats ne contredisent pas vraiment les théories de Dunbar, mais relancent les interrogations sur le lien entre sociabilité et capacités mentales.

Et une très belle année 2011 :) !


1 commentaire:

  1. Je ne connaissais pas du tout cette théorie. Mais je suis d'accord avec l'idée qu'on ne peut démultiplier à l'infini son réseau de relations, ecnore faut-il distinguer entre ce que peut recouvrir le terme de relations: proches, pro, fan, public, ...
    Je suis d'accord avec toi, notre réseau de sociabilité n'est plus le même. Il se concentre, je crois, autour des amis de nos jours et ce réseau en est peut-être d'autant plus fort.

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