samedi 19 mars 2011

Charlie Sheen et le besoin d'hybris

Depuis quelques semaines, toute une partie de la twittersphere vit au rythme des updates de Charlie Sheen, star de télé américaine connue pour 1) être le fils de Martin Sheen, 2) avoir été l’acteur de série le mieux payé d’Hollywood, à raison de 1,8 million de dollars par épisode, et surtout 3) collectionner les infractions et autres frasques depuis des années (insultes, agressions, drogue, etc.).
Officiellement débarqué de la sitcom Mon Oncle Charlie début mars suite à de nouveaux faux-pas (une décision synonyme d'énorme manque à gagner pour les producteurs), Sheen a choisi de miser sur son capital sympathie de bad boy pour reprendre en main sa communication et rebondir. Sauf qu'ici, "rebondir" signifie s'enfoncer —et très bas. L'homme multiplie les déclarations sans queue ni tête, poursuit CBS en justice pour rupture de contrat abusive et invente des hashtags tels que #tigerblood, #planbetter et #winning, comme autant de cris de ralliement pour ses nombreux supporters. Résultat : il est devenu en quelques jours un meme internet à lui tout seul.

Cela dit, Sheen n'a pas complètement perdu le nord : il vient de se lancer dans une tournée nord-américaine (certaines salles de plus de 5000 places ont été complètes en moins de 20 minutes)    afin de dire "sa vérité" au public. Un public qui devra tout de même débourser entre 80 et 750 dollars par billet! Mais un public qui raffole des personnalités à la dérive, dont Sheen est un parangon.

Flowchart des meilleures sorties de Sheen
issu d'Esquire. Cliquez pour la 
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C'est, en substance, l'analyse faite la semaine dernière par l'écrivain Bret Easton Ellis dans les colonnes de Newsweek. Pour Ellis, que l'on peut considérer comme un expert de la pop culture américaine, Sheen est le dernier exemple en date d'une tendance au politiquement incorrect entièrement assumé chez certaines célébrités. Le show business a toujours compté de fortes personnalités -Ellis cite notamment Bob Dylan, Norman Mailer ou plus récemment Eminem- refusant de jouer le jeu (le jeu étant : un écart de conduite = des excuses publiques et/ou une traversée du désert), quitte à se retrouver ponctuellement marginalisées. Cependant, depuis quelques années, les stars dépassant les bornes sans vraiment chercher à se faire pardonner se mutliplient. Kanye West, qui en un an nous a gratifié d'autant de moments de grâce (ses expérimentations visuelles kitschissimes mais touchantes et un superbe dernier album acclamé à juste titre) que de moments totalement WTF, en est un autre exemple.

Cela ne veut pas dire que la séquence classique "grandeur & décadence & rédemption" ait disparu : les démêlés d'un Tiger Woods sont là pour en attester. Simplement, certaines stars se placent désormais en dehors, au-delà du système classique. Et le grand-public adore ça, puisqu'il trouve dans ces actes toujours plus nombreux de provocation, de narcissisme ou d'aliénation (voire les trois à la fois) un vent de folie rafraîchissant. Ces personnalités a-morales apparaissent comme libres, et peu importe qu'en réalité elles ne le soient pas.

J'ai récemment eu la chance d'assister à la présentation du dernier rapport Ipsos Flair, qui entend prendre chaque année le pouls de la société française. L'un des thèmes développés à cette occasion par Yves Bardon, directeur de la prospective d'Ipsos, était la défiance croissante des gens vis-à-vis de l'Autorité. Bon, personnellement j'appelle ça la "post-modernité" et j'estime qu'il s'agit d'un méta-phénomène déjà ancien plus que d'une simple tendance... Cependant, Bardon soulignait le fait que cette défiance se traduisait désormais par un vrai "je m'en foutisme" et la recherche par le public de l'excès, du risque, du borderline... Une sorte de réaction à la crise et aux privations qu'elle implique ; un besoin de passion, au sens premier du terme.
A cet égard, une personnalité comme Charlie Sheen, qui se complaît dans les "turpitudes morales", pour reprendre l'expression américaine consacrée, n'incarne-t-elle pas à merveille l'hybris que le public  recherche dans une époque terne?

Qu'en pensez-vous?

1 commentaire:

  1. Ouais je suis plutôt assez d'accord avec ton papier et l' analyse de Ellis est trés pertinente.
    J'espère qu'il écrira vite un bouquin sur la vie de Charlie Sheen, le phénomène pop culture qu'il devient depuis ces dernières semaines avec l'aide d'internet (twitter ect..) et à travers ça qu'il approfondira sa réflexion sur la dichotomie celebrité Empire/post-Empire.
    La célébrité ayant une influence de plus en plus importante sur nos sociétés..que ça nous plaise ou pas..(ouais je parle pour moi au moins..lol).

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