Depuis quelques semaines, la presse s’emballe pour Instagram, une application iPhone qui permet de prendre puis partager des photos retouchées. De Techcrunch à Glamour en passant par le Nouvel Obs, tout le monde y va de son petit article pour dire combien l'appli est coolos, et combien son succès est fulgurant. C'est qu'avec 6 millions d’utilisateurs attendus fin juin et déjà 100 millions de photos prises après 8 mois d’existence, Instagram est devenu le chef de file d'un flopée d'applications de "photographie 2.0". En effet, Instagram décolle à peine et déjà les regards se portent vers d’autres services comme With (un side-project de Path, micro-réseau social intimiste) ou Color, qui permet de mettre en commun en temps réel des images d'un même évènement avec d'autres utilisateurs. Dernier signe de cette tendance, et pas des moindres : Facebook travaille actuellement sur sa propre application mobile de partage de photos, histoire de ne pas perdre trop de terrain face à ces nouveaux concurrents.
Comme toujours, la mode de la "photo 2.0" est due à la conjonction de plusieurs phénomènes plus ou moins profonds.
Le premier phénomène - et le plus évident - c'est l'engouement pour la photographie vintage (Lomography, Polaroid) et la multiplication d'applications en reproduisant les effets, comme Hipstamatic, ToyCamera ou Pudding Camera.
Le deuxième, c'est la montée des réseaux sociaux mobiles, auxquels on ne peut accéder que via une application dédiée (type Foursquare, Path, etc.). Une tendance amenée à s’accentuer dans les mois à venir, au sens où le véritable hub social de l’individu connecté reste son téléphone portable et, a fortiori, son smartphone.
Le troisième phénomène, qui s'inscrit plus dans le long terme, c'est l'ultra-démocratisation de la production de contenus sur Internet.
Je m'explique : pendant plusieurs années, pour "exister" sur le web il fallait avoir son site perso, ce qui exigeait quelques connaissances informatiques et pas mal de temps. Puis sont apparus les blogs, qui ont éliminé les contraintes techniques et ont permis à tout le monde (dont votre serviteur) de disposer de son petit chez-soi en ligne. Reste que tenir un blog n'est pas la panacée et demande encore une certaine discipline personnelle. Heureusement, les réseaux sociaux sont arrivés et ont encore plus facilité la production de contenus. En particulier Twitter qui, en tant que service de micro-blogging, a fait de millions d'internautes des bloggueurs en puissance en "stylisant" à l'extrême (c'est-à-dire 140 caractères) le processus de rédaction.
Ce mouvement vers toujours plus de simplicité se retrouve désormais dans la montée d'une plateforme comme Tumblr qui fait la part belle au visuel. Son interface est minimaliste, les photos y tiennent une place proéminente et les commentaires s'y font rares. Certes, on peut toujours y écrire de longs articles bien structurés, mais la plupart de ses utilisateurs se contente d'y publier des clichés plus ou moins abstraits et arty —ce qui agace beaucoup. L'image semble, en quelque sorte, prendre le pas sur l'écrit. Signe des temps : Tumblr vient tout juste de dépasser Wordpress (plateforme de blog réputée très littéraire et sérieuse), porté par une nouvelle génération de digital naives, qui recherchent avant tout immédiateté et simplicité et privilégient à ce titre le partage de photos.
Vu comme ça, on dirait qu'Instagram, Tumblr et consorts remportent un grand succès uniquement parce qu'ils permettent de briller sans trop de frais auprès de ses friends et followers. Mais ce serait oublier le profond rôle social de la photographie, qui se renforce au contact des réseaux sociaux. C'est là notre quatrième et dernier phénomène.
Dans Un Art moyen, paru en 1965, Pierre Bourdieu et ses collaborateurs montraient que la photographie était avant tout une pratique ayant une utilité sociale plus qu'un acte artistique pur. En effet, la photo sert avant tout à fixer des moments que l'on sait éphémères et conserver une trace du passé. Or, "saisir l'instant et le partager" est également un des buts les plus fondamentaux des réseaux sociaux. La rencontre entre ceux-ci et la photographie est donc logique, en particulier à l'heure où les gens éprouvent une peur panique de rater quelque chose ou de ne pas être "là au bon moment" (ce que l'agence JWT Intelligence appelle la Fear Of Missing Out ou FOMO)...
Tous deux situés à la frontière de l'individuel et du collectif, photo et réseaux sociaux devraient continuer de converger. L'immense succès de Facebook Photos (200 millions de photos mises en ligne chaque jour) et la montée de services tels qu'Instagram ou Color n'en sont ainsi que les premiers exemples.
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