dimanche 6 novembre 2011

Le retour du bon sens (Com de crise, 2)



Martin Parr, Common Sense, 1995-99

A défaut d'être "la chose au monde la mieux partagée", l'idée de "bon sens" fait beaucoup parler d'elle depuis quelques semaines. On a bien sûr en tête la dernière campagne d'image du Crédit Agricole, qui a ressuscité fin septembre sa plateforme historique introduite en 1976 et sans cesse réactualisée depuis, mais également la sortie de Le Bon sens en politique, essai de Christian Jacob. Enfin, Philosophie Magazine consacre dans son numéro de novembre une longue et très bucolique enquête sur le "bon sens paysan". 

Valeur cyclique, le bon sens semble revenir sur le devant de la scène à mesure que la crise (politique, économique, sociale, <ajoutez ici l'adjectif de votre choix>) se propage et que la confiance disparaît. Le "bon sens", c'est un idéal de simplicité, de pragmatisme et de modération que l'on ne peut qu'exalter dans un monde chaotique, placé sous le signe de l'hybris.

Ce qui est intéressant, c'est que le bon sens n'est pas pour autant synonyme de Raison. Le Littré le définit en effet comme "l'intelligence et la lumière ordinaire avec laquelle naissent la plupart des gens", une jugeote innée qui tient plus de l'intuition que de la réflexion.  
Car en 2011, la Raison est plus que jamais suspecte. Le rationalisme à outrance débouche sur des méthodes managériales au mieux inefficaces, au pire destructrices de valeur, les montages sophistiqués des petits génies de la finance s'effondrent comme des châteaux de cartes et les technocrates bardés de diplômes peinent pourtant à trouver une solution au marasme généralisé. Pis : on accuse la Raison de n'être qu'un cache-misère intellectuelle ou une tromperie. A l'opposée, le bon sens est à la fois la sagesse des anciens et la perspicacité naïve des enfants : une qualité que chacun possède mais dont peu font bon usage. Le bon sens, c'est la Vérité contre le Mensonge, les vrais gens contre les beaux discours, le peuple contre les puissants. A cet égard, il s'agit aussi d'une valeur postmoderne par excellence.

Reste enfin une dernière raison pour laquelle le bon sens revient en force en France : notre rapport particulier au monde agricole. Les trois exemples cités plus haut associent tous sagesse et travail de la terre. Au-delà de la nostalgie et du romantisme, ce lien fait écho à certains des clivages politiques français les plus fondamentaux : zones rurales VS zones urbaines et surtout périphérie VS centre. En somme, la France d'en bas contre celle d'en haut. Pour un peu, on verrait (presque) dans le bon sens une valeur révolutionnaire! Une chose est sûre : le concept a bel et bien de l'avenir...

Qu'en pensez-vous?

 ***
Ce billet est le deuxième de la série "Com de crise". 
Vous pouvez retrouver les deux autres ici :




2 commentaires:

  1. d'une part on peut remarquer que le bon sens puisqu'il est considéré comme innée, semble souvent réactionnaire, opposé à tout idée d'un monde qu'il faudrait inventer mais plutôt enclin à retrouver une réalité perdue de vue, en quelque sorte le bon sens est anti politique en cela qu'il propose un retour à l'état de nature, avant les lois déviantes de la polis.
    Le politique serait donc se qui détourne l'homme de la prospérité, ce qui empêcherait l'homme d'advenir à lui-même, le bon sens revient comme valeur de simplicité en négation d'une réalité complexe, d'un devenir incertain (comme très bien énoncé dans l'article) en cela le bon sens est également, corollaire du conservatisme, une valeur de stagnation, car au lieu de réfléchir une nouvelle logique il propose plus d'amplifier un mouvement déjà existant, de rendre générales et impersonnelles des règles circonscrites pour le moment à un domaine d'activité.
    Le bon sens a cependant cela de "bon" qu'il remet en question la toute puissance de la raison apprise, c'est à dire de la suprématie du diplôme, sur la raison empirique, celle du paysan, du vieux sage de la campagne, de la civilisation ancestrale sur le monde nouveau, fougueux et démembré. On peut cependant se demander si le vrai enjeux en ce moment n'est pas juste de chercher du sens, recherche qui en elle-même est bonne.

    RépondreSupprimer
  2. Tout à fait, le "bon sens" a cela d'utile qu'il questionne le pouvoir des élites intellectuelles. Reste que ces mêmes élites s'approprient volontiers le concept pour en faire un simple outil de rhétorique...

    RépondreSupprimer