dimanche 13 janvier 2013

L'innovation est-elle en panne? (réponse : pas vraiment)



L’innovation a-t-elle atteint un plafond de verre après deux siècles de progrès techniques fulgurants? C’est la question qui agite sociologues, économistes et futurologues en ce début d’année.

Internet Actu s’est récemment fait l’écho des craintes du penseur britannique Richard Jones, qui déplore l’absence d’inventions majeures, capables de réellement changer le quotidien. De son côté, The Economist consacre cette semaine un long dossier à ces enjeux. On y retrouve notamment les thèses de l’économiste américain Tyler Cowen, pour qui la crise actuelle est l’arbre qui cache la forêt, car l’innovation serait en panne et les gains de productivité en berne. Pour Cowen, il y aurait de moins en moins de croissance endogène.

De nombreux experts se sont déjà penchés sur la question. Certains avancent l’idée que nous avons déjà inventé tout ce qui pouvait répondre à nos besoins primaires (nourriture, habitation, transport), ce qui limiterait de facto les chances de créer de nouveau quelque chose de révolutionnaire.

Pour les économistes Benjamin Jones et Pierre Azoulay, l’innovation est également ralentie par ce  qu’ils appellent le «fardeau de la connaissance», c’est-à-dire l’accumulation de connaissances à intégrer avant de créer quoi que ce soit. On peut ajouter à ce fardeau celui des innombrables brevets et lois à prendre en compte... Pour Thomas Jamet, enfin, l’innovation tournerait au ralenti car nous ne sommes plus animés du «feu sacré», jadis entretenu par les auteurs de science fiction, qui pousse à créer et nous dépasser.

Mais la vraie question ici c’est «quelle définition donne-t-on à l’innovation?» 

Chez Richard Jones, c’est une découverte qui doit changer la face du monde. Pas étonnant, dès lors, que le modèle actuel d’innovation n’est pas viable à ses yeux, puisqu’il ne soutient pas la recherche fondamentale et privilégie l’entreprise individuelle. Pour Jones, cette approche ultra-libérale de l’innovation typique de la Silicon Valley est dangereuse car elle demeure soumise au financements des investisseurs... et donc court-termiste! Les projets les plus ambitieux et révolutionnaires passeraient illico à la trappe pour des raisons de rentabilité. 
On retrouve en filigrane dans les propos du futurologue le passage décrit il y a plusieurs décennies par Joseph Schumpeter d’une innovation d'entrepreneurs à la démarche prométhéenne (les pionniers de l’automobile ou de l’aviation par exemple)  à une innovation si complexe et coûteuse qu'elle ne peut être soutenue que par l'Etat.

Cela se tient... sauf si l’on possède une vision différente de l’innovation. 

Personnellement, je ne pense pas que toute innovation doit être révolutionnaire. Il peut très bien s’agir d’une idée qui, à force de tâtonnements et d’affinement, peut changer notre quotidien. Du coup, l’innovation devient tout de suite moins chargée d’enjeux et plus humaine. Il faut accepter l’idée qu’elle soit erratique et mette du temps à porter ses fruits. 

D’abord parce que toute innovation nécessite une longue période de maturation et d’apprentissage avant que la société n’en tire réellement parti. La plupart des inventions n’ont créé de richesses que des années voire des décennies après leur première apparition, ce qui explique l’impatience de certains aujourd’hui à voir les effets réels de la révolution numérique, par exemple. 

Ensuite, parce qu’une innovation n’a aucune utilité si elle ne sert pas de support à d’autres. Le seul progrès vient de ce que Schumpeter appelait «l’innovation en grappe», où chaque inventeur ou laboratoire rebondit et perfectionne les trouvailles des autres. C’est ce phénomène d’innovation en grappes qui est à l’oeuvre aujourd’hui dans de nombreux domaines dont les bio- et nanotechnologies.

«We wanted flying cars, instead we got 140 characters.» —Peter Thiel

Au-delà, l’innovation n’est jamais là et quand on l’attend. 

Who needs Twitter when
you have a flying car?
The Economist cite l’investisseur Peter Thiel, un sceptique de l’innovation qui fait savoir sa déception : «We wanted flying cars, instead we got 140 characters.»
Forcément, on est tous déçus de ne pas vivre dans un épisode des Jetson... Si ce n’est que Twitter apporte sûrement davantage à la démocratie et à la connaissance qu’une Mégane avec des ailes! 
De même, l’apport de certaines inventions demeure très indirect. The Economist note que depuis 2004, et malgré l’explosion du haut débit, de Google et du Web 2.0, la productivité des Etats-Unis est moindre que dans les années 70 et 80. Certes, mais dans le même temps, le pays a regagné en soft power...

L’innovation est-elle en panne? Les chiffres de productivité disent que oui ; les «Googles cars», les imprimantes 3D et plus généralement, la vivacité des créateurs de start-ups américaines mais aussi françaises ou allemandes disent que non. Débat à suivre...


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