jeudi 29 mai 2014

Les trois leçons de Facebook Messenger



Il y a peu de chances que vous y ayez échappé. Depuis un mois, Facebook promeut de manière très agressive Messenger, son application maison de messagerie instantanée. D’abord présentée comme une alternative à la fonction InBox du réseau social, Messenger est subitement devenue obligatoire pour des centaines de millions d’utilisateurs. Impossible désormais d’accéder à vos conversations depuis l’application Facebook «historique» : il vous faut télécharger Messenger en parallèle !

Cette décision, qui a provoqué à juste titre l’ire des internautes, est loin d’être un hasard. Elle nous apprend —ou rappelle- trois choses.

D’une part, elle traduit la fébrilité de Facebook, qui est bien décidé à ne pas se laisser déborder sur le marché en ébullition des messageries instantanées. 

Line et WeChat sont déjà immensément populaires et ont su développer leur offre pour devenir de véritables réseaux sociaux qui n’ont rien à envier à Facebook ou Twitter, aussi bien en matière de fonctionnalités que de chiffre d'affaires... KakaoTalk s’est quant à elle rapprochée du portail Daum pour créer un géant coréen des médias sociaux et l’appli israélienne Viber a été rachetée par le groupe japonais Rakuten, signe que l’innovation n’est plus l’apanage de la Silicon Valley. C’est dans ce contexte que Mark Zuckerberg a longtemps cherché à acquérir Snapchat avant de s’offrir WhatsApp pour la somme mirobolante de 19 milliards de dollars. Pour contrer l’expansion de ses concurrents, Facebook a clairement choisi de les absorber... ou de s'imposer.

Par ailleurs, pousser l’installation d’une application à part s’inscrit dans la stratégie de Facebook, qui se voit désormais comme un éditeur se services mobiles plus que comme un simple réseau social. 

En témoignent la création de Paper et les récents rachats de WhatsApp, Onavo ou de l'application de santé connectée Moves. Une démarche qui répond aussi à une tendance lourde de l’industrie numérique : la multiplication des micro-applications à usage unique qui s’organisent en écosystèmes atomisés, au grand dam des leaders historiques.

Dernier point et non des moindres : en imposant Messenger, Facebook nous rappelle ce que nous savons pertinemment mais feignons d’ignorer. 

Une poignée de géants du Net ont aujourd'hui atteint une taille physique (nombre d’utilisateurs, poids financier) et symbolique (ancrage dans notre quotidien) suffisamment importante pour se permettre de dicter leur loi, parfois au mépris de l’intérêt des consommateurs.

Le phénomène n’est ni nouveau (rappelez-vous des agissements de Microsoft à la fin des années 90), ni limité au secteur des nouvelles technologies (cf. les grands monopoles du début du XXe siècle aux Etats-Unis). Mais il est particulièrement prégnant ces derniers jours. Par exemple, eBay aurait vu sa visibilité dans les résultats de Google diminuée d'un tiers suite à ce qui ressemble à une pénalisation manuelle (non automatisée). De même, Amazon a délibérément augmenté les prix et rendu plus difficile l’achat de certains livres en guise de représailles après un désaccord avec l’éditeur Hachette. Dernier exemple en date : Arnaud Montebourg vient d’assigner Booking.com en justice en pointant du doigt certaines de ses pratiques, qu’il estime abusives.

Tout cela n'a rien d'étonnant. Comme j'ai déjà pu l'écrire, les géants digitaux se comportent comme des empires, c'est-à-dire qu'ils poursuivent une expansion tous azimuts qui n'a de limites que celles que leur fixent les pouvoirs publics et leurs propres consommateurs. Si les contre-pouvoirs officiels semblent désormais se multiplier, ils arrivent encore souvent avec un train de retard. En revanche, les consommateurs peuvent à leur niveau lutter en temps réel contre les comportements abusifs en s'efforçant de réduire l'hégémonie des oligarques du Numérique.

Certes, inverser la tendance actuelle est une vraie gageure au quotidien. Mais à défaut de nous affranchir totalement, nous pouvons toujours diluer notre dépendance en tirant parti de la relative atomisation des applications et médias sociaux. En effet, miser sur plusieurs services à la fois, c'est ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et favoriser la concurrence. Une sorte de "boycott en creux" qui implique de rester très curieux voire aventureux, mais qui permet de limiter le risque de mettre sa vie numérique (et a fortiori sa vie tout court) aux mains de quelques titans. Un geste a priori banal mais bien plus politique qu'il n'en a l'air !

Cet article a fait l'objet d'une adaptation sur l'ADN.



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